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vendredi 15 novembre 2024

Une fresque


En revenant du laboratoire, hier matin, je suis passée à côté du FJT où j'ai habité plusieurs mois en arrivant dans cette si accueillante ville d'Annemasse. A l'époque le manque criant de logement nous avait fait atterrir dans ce foyer de jeunes travailleurs le temps qu'enfin nous puissions trouver un appartement. Nous habitions juste au dessus de la porte d'entrée, et chaque fois que je passe là, je regarde le balcon et ses volets fermés, toujours. Il me semble que nous ne les fermions jamais, des rideaux suffisaient à nous protéger des regards extérieurs et la lumière nous était indispensable. C'est à cette époque qu'après avoir subi un viol, je suis restée coincée, ne pouvant pas franchir la porte du foyer (on ne parlait pas encore du syndrome post traumatique, mais sans aucun doute, j'en souffrais réellement).

Je tricotais pour passer le temps, un pull épais, en jacquard bleu, pour pallier le froid intense qui me transperçait. Le soir nous tapions le carton, j'ai découvert les règles de la belote à laquelle je n'ai plus jamais joué ensuite. Nous picolions avec la bande qui s'était rapidement créée, c'est là que j'ai connu Dominique que j'ai tant aimé. Un peu plus tard, ayant pris du galon, il était devenu directeur du foyer, ou sous directeur, je ne me souviens plus vraiment. Mais il avait décidé de faire peindre la façade droite quasiment aveugle, et avait demandé à JP de faire le projet, qui avait été accepté.
Nous avions suivi fasciné, les peintres qui reproduisaient le dessin à cette échelle impressionnante. 

Lentement, au fil des ans, les couleurs ont passé, le dessin doucement s'efface.

Lorsque nous quitterons la ville, nous laisserons un souvenir dont nous seuls connaitrons l'auteur.  

jeudi 23 septembre 2021

petit coup de folie

 Je rentrais d'un rendez-vous, j'avais pris la voiture pour la faire un peu rouler, pour que la batterie ne se vide pas comme cela a déjà été le cas deux fois cette année, j'avais mis la radio et je tombais en plein interview qui je ne sais pourquoi parlait de Tixier. Juste Tixier. Mais il me semble bien qu'il parlait de Tixier Vignancour. Tiens ? Il est mort pensé-je, et puis non, il devait l'être depuis longtemps. 

J'avais quoi, 8 ans sans doute. Ce jour là, le soleil inondait notre chambre, ma soeur et moi sautions sur un lit, excitées comme les enfants peuvent l'être sans raison. Il faisait beau, le printemps nous réjouissait, les fenêtres ouvertes laissaient entrer cette saison nouvelle, pleine de piaillements d'oiseaux, les trottoirs qui résonnent plus sec sous les pas des passantes aux escarpins printaniers. Nous avions dû commencer à sautiller, puis les rebonds des ressorts nous avaient entrainées de plus en plus haut, riant, et soudain, l'une de nous avait chanté une ritournelle de trois mots "Et Tixier Vignancour, et Tixier Vignancour, et T..." Nous chantions de plus en plus fort, riant comme des folles, hurlant ces trois mots sur trois notes, 1es répétant, de plus en plus excitées, lorsque la porte s'est ouverte violemment, nous stoppant net dans notre folie, sur mon père blême. D'un mot il nous fit taire.

Qu'est ce qui nous avait pris ? Pourquoi hurlions nous ce nom ? Aucune idée. 

En écoutant la fin de l'interview, j'ai compris que cet affreux bonhomme dont le nom nous faisait tellement rire, se présentait alors aux élections présidentielles. Mon père de gauche, vomissant cet homme, ne pouvait entendre sous son toit, ce nom scandé par deux petites filles, toutes fenêtres ouvertes. 



mardi 20 juillet 2021

les Sparks

 Il fallait que je travaille pour payer mon loyer, j'étais partie de chez mes parents un soir, une chemise de nuit et sans doute mon journal dans un sac. 
Quelques temps après j'avais trouvé un tout petit appartement sous les toits, une chambre et une sorte de petite cuisine avec un évier, et traversant le couloir une autre chambre qui me servait surtout de chambre d'amis. 
J'habitais juste en face d'une caserne et un peu plus loin, sur le même trottoir un bistrot de quartier. 
Alors puisqu'ils cherchaient une serveuse je m'étais présentée. 

J'avais juste dix huit ans, les cheveux teints au henné, des robes longues noires, un châle fait par une ancienne copine de classe immense, noir, arachnéen, une merveille de finesse, un trésor. Oui bien sûr avais-je dit, j'ai déjà travaillé dans un bistrot, bien sûr que je sais tirer une bière, bien sûr, et j'avais été embauchée.
La première bière avait quasiment explosé, plus de mousse que de bière, mais ils m'avaient gardée, m'expliquant les rudiments de ce métier et plateau en main, je passais d'une table à une autre, dansant presque, la vie était un grand théâtre, j'étais là sans y être tout à fait. 
Je croisais des taulards en liberté surveillée, les flics du commissariat de la rue, les troufions, il y avait un juke-box et parfois j'oubliais de me réveiller et arrivais en retard. 

Il y avait un juke-box, et dans ce juke-box beaucoup de tubes des années 75, beaucoup beaucoup de chanteurs français, quasiment que des chanteurs français, la plupart tout à fait inconnus pour moi, ou alors honnis tels Claude François ou Delpech, des vieux trucs aussi, qui faisaient du bien à mes vieux écroulés sur la table, finissant un ballon de rouge avant de rentrer en titubant vers leur chez eux triste et vide.
Et puis il y avait un 45T des Sparks. 
Qu'est-ce-qu'il était venu faire dans cette sélection ? Il devait être quasi neuf lorsque j'ai débarqué, et usé jusqu'à la corde lorsque j'ai quitté un jour sans prévenir.

Mes petits vieux se levaient péniblement de leur table, fouillant leur poche cherchant quelques pièces, se penchant au dessus de la vitre, choisissaient un titre un peu au hasard. Et souvent, avec un sourire, pour me voir danser en oubliant le monde, choisissaient Never turn back on mother Earth. Dès la toute première note mon coeur s'envolait, tout s'effaçait, je dansais et le temps se suspendait à ces quelques notes et cette voix si particulière des Sparks. Nul autre endroit ne pouvait mieux convenir à cette chanson, je crois que si je suis restée dans ce bistrot c'est uniquement pour pouvoir l'écouter. 

Et puis dimanche soir, regardant cette si drôle remise des palmes d'or, lorsque j'ai vu monter sur scène ce grand escogriffe de Ron Mael, tout est revenu. Les vieilles tables en bois, les chaises qui raclaient le carrelage quand un de mes petits vieux se levait, les oeufs sur le présentoir, l'odeur de choux du repas de midi, le soleil qui peinait à traverser les vitres jaunis, le nuage de fumée des gitanes qui flottait au dessus de nous, et le juke-box en bois sombre, avec le bras qui lentement tombait sur le disque choisi et la voix de Russel qui effaçait en une seconde le brouillard.

mardi 23 mars 2021

une certaine peur


Poster une photo de mars 2020 est le nouveau jeu éphémère de Twitter depuis hier, et en cherchant le peu de photos faites ce mois là, j'ai retrouvé celle-ci. Le parc tout nouveau, remplaçant un parking, totalement vide, herbe encore en graine, silencieux dans une ville morte. 

J'étais allée, munie de mon attestation pro, faire rapidement un tour à l'agence pour y chercher un document. C'était la première fois que je bravais l'extérieur. Nous étions confinés, réellement confinés, et ce jour là, nous nous étions retrouvés à trois, rasant les murs, nous parlant à trois mètres les uns des autres, sans masque puisqu'il n'y en avait pas. Au retour, j'avais comme une voleuse, pris quelques photos du printemps qui démarrait sous un soleil insolent pour nous les enfermés. 

Il n'y avait personne, vraiment personne dans les rues. Tout était arrêté, seuls les oiseaux s'en donnaient à choeur joie, une impression d'apesanteur, comme si l'air lui même restait en suspend, attendant que la vie revienne. 

En rentrant je m'étais complètement déshabillée, changée, lavée de ce danger invisible qui tuait tous ceux qui bravaient l'interdit.


dimanche 28 février 2021

fin du mois

Dan Simmons
L'abominable

Je suis sûre d'une chose, c'est que je ne regretterai jamais de ne pas avoir grimpé l'Everest ! Mais ce livre nous plonge durant 956 pages dans les année 1924, alors qu'un groupe d'alpiniste tente de gravir jusqu'en haut, cette montagne inaccessible. C'est passionnant, je me suis plongée, un peu dubitative dans ce roman noir, n'ayant pas une attirance pour l'alpinisme. Eh bien, j'ai vraiment vécu, bien au chaud, cette montée éprouvante, avec en plus, un suspens angoissant. 
Certes c'est un gros bouquin, mais allez y sans hésiter.

Debbie Harry
Face It

Lorsque j'ai eu mon premier appartement vraiment à moi à Strasbourg, du moins, lorsque j'ai été vraiment seule dans un appartement à Strasbourg, locataire évidemment et sans doute vers mes vingt, vingt et un ans, j'ai commencé à découvrir mon quartier de la rue de la haute montée, derrière la place Kleber. 
Il y avait un disquaire, indépendant, plus vieux que moi mais sans doute encore très jeune, qui voyant ma persplexité devant les bacs de trente trois tours, a décidé de faire mon éducation musicale hors sentiers classiques qui me baignaient depuis ma toute petite enfance. Je repartais toujours de chez lui avec un disque qu'il m'avait conseillé, mais dont je n'avais jamais entendu parlé. C'est comme cela que j'ai commencé une collection de très bons disques qui garde pour moi l'esprit de liberté de ces années strasbourgeoises. 
Un jour il m'a fait découvrir Blondie et son disque a tourné tant de fois que je connais encore par choeur chaque tempo et le merveilleux yaourt que je chantais avec bonheur. 
 J'ai eu tant de plaisir à lire ce livre reçu à Noël, où elle raconte sa vie incroyablement vivante, tonique. Le New York de ces années où le punk faisait son entrée dans l'univers rock underground. Quelle force !

Mazarine Pingeot
Et la peur continue

Je ne sais ce qui pousse Mazarine à raconter des histoires de viol, je réalise que le dernier livre lu d'elle avait déjà ce sujet. Et sinon ? Ben excusez-moi d'être crue, mais j'ai trouvé ce livre chiant, voilà.

mardi 17 novembre 2020

Les gens qu'on aime #16

 quelqu'un qui a les cheveux noirs


Eh bien moi me suis-je dit, j'avais les cheveux noirs, et oui je m'aime bien, même si évidemment, si j'en avais le pouvoir, je corrigerais bien des choses. 
Alors j'ai ressorti un album couvert de tissus écossais, et j'ai lentement tourné les page, cherchant une photo de moi à la naissance.
J'ai choisi une de celles prisent à mon baptême, à Strasbourg. Je suis enveloppée dans cette robe qui a vue tant et tant de baptêmes dans notre famille. J'ai les cheveux noirs, noirs jais, je suis dans les bras de mon parrain, Philippe, qui me regarde tendrement, arborant une magnifique tignasse elle aussi bien sombre. 

Philippe était mon parrain, que je n'ai pas connu aussi bien que ma marraine, mais qui était très original. Il était peut être schizophrène d'après papa, il était c'est sûr très original, et m'apportait une folie douce qui m'étonnait, me faisait du bien. 
Lorsque j'ai pris mon indépendance, du moins juste avant de claquer la porte, j'allais à Strasbourg seule, et parfois je débarquais chez lui. Il y avait Brigitte son épouse, qui me recevait toujours avec tendresse, m'invitant à déjeuner. Elle restait un peu en retrait, elle aimait son Philippe et du coup aimait ceux qui l'aimaient. 

Lui adorait, tout comme papa, le jazz. Il avait des piles de disques, et amusé de ma fascination pour les 78 tours qui trainaient sur un meuble, m'en avait donné une pile que j'ai encore dans un coin de la cave, ou au fond d'un placard.
Un jour, s'étonnant que je ne connaisse pas Nougaro, mais chez nous ce qui était de la variété n'avait pas de place, il m'avait fait écouter religieusement "Cécile", parce que m'avait-il dit, ce morceau était le plus beau, celui qu'il préférait entre tous, sa fille dont il était en adoration, portant ce prénom. 
Et depuis, chaque fois que j'entends cette chanson, je pense à lui, ce parrain si ténébreux, si tendre, disparu depuis longtemps.

Il me restent encore quelques cheveux noirs, qui, grâce au confinement, reprennent lentement leur place dans la masse grise qui pousse doucement. 

samedi 14 novembre 2020

Les gens qu'on aime #27

 quelqu'un qui est mort et qui nous manque terriblement - voilà, je n'aurai pas droit à la carte postale de Dr CaSo parce que je n'ai pas la constance de suivre les règles. Est-ce le dernier billet des gens que j'aime, nul ne le sait et surtout pas moi...


Mon grand-père Ernest est mort le 14 juillet 1977 si je ne me trompe pas. Il était hospitalisé dans la clinique qui était à deux pas de mon appartement à Strasbourg, mais à l'époque je n'avais plus tellement de contact avec ma famille, et je ne suis pas allée le voir. 

J'aimais pourtant beaucoup mon grand-père. Il avait de la prestance, portait toujours un chapeau qu'il soulevait légèrement lorsqu'il croisait une amie. Sous des dehors assez sévères, il était très drôle, très artiste. Il peignait des aquarelles et des huiles même après un avc qui avait rendu sa main droite peu docile. 

Ma grand'mère était rigide, très rigide, la religion bornait sa vie sans lui laisser d'espace, et elle régissait tous ceux qui vivait avec elle, avec cette doctrine implacable. Sans doute est-ce cela qui a terni la vie d'Ernest, l'obligeant à suivre celle qu'il avait épousée par amour. 

Nous étions fascinés par le talent de ce grand-père qui dessinait si bien. Un jour, alors que nous avions, un été, monté des spectacles de marionnettes, il nous avait peint des immenses toiles de paysages à poser dans le fond de notre scène. Je ne sais si dans le fatras habituel des maisons de campagne ne se cache pas ces rouleaux de décors, avec la multitude de toiles peintes qui attendent d'être redécouvertes. 

Il est mort quatre ans avant que je ne rencontre JP, je regretterai toujours qu'ils ne se soient pas connus. 

Ce n'est pas qu'il me manque, mais quand je pense à lui, il me reste la tendresse qu'il avait dans son regard quand il nous voyait gribouiller nos chefs-d'oeuvre. 

lundi 9 novembre 2020

Les gens qu'on aime #5

quelqu'un avec qui on a étudié ou été à l'école


 Je suis allée à l'école, c'est un fait. J'ai toujours détesté l'école.

La seule chose qui m'a permis de ne pas me jeter sous la première voiture qui passait lorsque l'heure était venue de rejoindre ce lieu exécré, c'était que j'y avais des amies, totalement perdues de vue depuis. 
J'ai bien essayer il y a quelques années de renouer avec Blandine qui est restée très longtemps ma super copine, mais nos vies avaient pris tellement de distance l'une de l'autre, que nous nous sommes contentées de nous envoyer des voeux à nouvel an quelques temps.
Un jour, sur une aire d'autoroute, j'ai retrouvé avec grand plaisir Myriam, qui rougissait si facilement. Nous avons bavardé un long moment, avons échangé nos adresses, et puis sommes reparties chacune sur notre route sans plus jamais nous donner de nouvelles.
Laurence qui était une autre super copine a été accaparée par ma soeur, lorsqu'elle s'est mis en couple avec un de ses copains, et je n'ai plus jamais eu le droit de dire que nous avions été amies.
Pascale que j'adorais, avec qui j'ai démarré ma vie d'ado rebelle, que j'admirais, tant je la trouvais belle et libre, s'est suicidée tout comme Nadia qui elle était "ma meilleure amie" à l'époque des Beaux Arts.
Je faisais beaucoup rire mes amies, sans doute était-ce une part de mon succès, j'étais toujours très entourée, mais terriblement seule.

Je n'ai jamais aimé l'école.

mardi 28 avril 2020

résilience

Ils avaient quitté Strasbourg, s'étaient installés chez oncle Louis et tante Jeanne, à Colmar rue de la Semm. Maman, sa petite soeur, son petit frère, et ma grand'mère Marie Thérèse. Ernest, leur père, lentement se remettait de la turbeculose, là haut dans le sanatorium.

La guerre bientôt serait déclarée, Strasbourg devenait dangereux, les nouvelles étaient de plus en plus tristes. Mais la maison d'oncle Louis était grande, avec un très beau jardin.
Plus tard, lorsqu'Ernest sera remis, ils quitteront Colmar et s'installeront le temps que cette foutue guerre s'arrête, si tant est qu'elle s'arrêtera un jour, à Pfaffenheim.

Les enfants avaient emporté lors de cette retraite, une grande quantité de jouets, poupées, landaus, berceaux, dinette, tout ce qui fait l'enfance.
Alors ils jouaient, tous les trois, Maman tout juste huit ans,  avec leur cousin Gérard, l'aîné de cette troupe.
Un de leurs jeux favoris consistait à sortir toutes leurs poupées, les berceaux, les landaux, la dinette, et de très consciencieusement installer tout cela dans le jardin. Les poupées assises, à côté des berceaux, en pique nique, prêts à prendre le thé, manger leurs gâteaux imaginaires. Cela prenait du temps, il fallait que tout soit parfait. Il faisait déjà très beau en ce début d'été 1939, et jouer dans le jardin aux fruitiers nombreux, pelouse entretenue, si grand que l'on pouvait croire qu'il n'avait pas de limites, était un vrai régal.
Une fois que tout était parfaitement organisé, Gérard sortait de la maison, descendait les marches en pierre, et hurlait EVACUATION, EVACUATION. Immédiatement, il fallait tout rassembler dans l'urgence, en vrac, jeter tout dans les berceaux, empoigner les landaus, et fuir fuir jusqu'au fond du jardin, dans une excitation jubilatoire.
Et tout recommençait, installer une à une les poupées, remettre en ordre les draps, border les couvertures, disposer la dinette, tout en bavardant en vraies petites mamans s'occupant de leur marmaille. Comme si la guerre n'existait pas. Jusqu'à ce que brusquement se remette à hurler leur cousin chéri, EVACUATION, EVACUATION et à nouveau l'effervescence pour tout rassembler et filer dans des hurlements de rire, poupées, dinettes dans les berceaux en vrac, jusqu'à l'autre bout du jardin.
Il fallait bien à un moment s'arrêter pour aller gouter les bonnes tartines recouvertes de confitures d'abricot que faisait tante Jeanne.
Le lendemain, les évacuations feraient de nouveau partie de ce monde imaginaire...


De la guerre Maman garde de très jolis souvenirs qu'elle me raconte lors de nos longues conversations téléphoniques. Très calmement confinés, mais profitant aussi de ce Paris sans voiture, aux arbres fleuris, ils font des petites balades d'une heure, leurs attestations bien remplies, les masques sur le visage, attendant que passe cette si curieuse période, hors du temps, qui réveille leur enfance bousculée.
Papa dit qu'il fêtera sans doute le 19 juin, ses 91 ans confiné, et Maman se dit que ses 90 ans à elle, le 14 juillet,  seront sans doute particuliers aussi.

vendredi 6 décembre 2019

les mandarines

mandarine
Aujourd'hui, St Nicolas, tradition oblige, j'irai m'acheter mes premières mandarines de l'hiver.

Cette fête qui annonce le début des réjouissances de fin d'année et que nous avons perpétué pour nos enfants.

Lorsqu'ils étaient petits ils préparaient la veille, une carotte pour l'âne et JP avait suggéré qu'un petit verre de schnaps pour St Nicolas, serait agréable à celui qui traversait le monde pour déposer ses douceurs.  A moi la carotte à croquer en laissant le trognon, à JP de siffler le petit verre, sans en laisser une goutte.
Au matin, bien avant qu'ils n'ouvrent les yeux, je déposais au pied du lit une grande assiette rouge, sur laquelle il y avait toujours deux trois mandarines, un St Nicolas en pain d'épices, quelques chocolats et un petit cadeau pour patienter avant Noël.
Cette année encore, St Nicolas sera passé, déposant un paquet qu'ils ouvriront au réveil, rempli de petits délices.

Alors me reviennent des souvenirs d'enfance où ce jour là, ouvrant les yeux dans la pénombre, je devinais au pied du lit, une ombre plus dense, déposée dans la nuit.
Fébrilement je tendais la main, tentais de deviner ce qui la composait. Les mandarines douces à la peau légèrement granuleuse, le pain d'épice recouvert d'une image d'Epinal, quelques noix de cajou, trésor rare de l'époque, et le cadeau, emballé qu'il me tardait d'ouvrir, lorsqu'enfin papa viendrait nous réveiller pour l'école.
Au petit déjeuner, nous avions droit à des manneles dorés encore tièdes, dont nous croquions les deux grains de raisin petits yeux sucrés, avant d'attaquer un à un les bras et les jambes avec une joie teinté de sadisme enfantin.
Nous faisions durer pendant des jours ce trésor gourmand, et aucune autre mandarine n'égalaient jamais la saveur de celles qui avaient garni notre St Nicolas.

Ce soir j'achèterai des mandarines...

dimanche 24 novembre 2019

photo n°24

26-09-2010
Ainsi lorsque j'ai pris cette photo qui me semble d'hier, j'avais cinquante trois ans. Cela faisait deux ans que j'avais intégré l'agence, C. était déjà la grande voyageuse qu'elle est restée, G. encore à la maison avant de quitter le nid et partir à Grenoble. Et JP ? Était-il déjà en invalidité ? Sans doute.
Nous étions allés voir les parapentistes décoller du Salève, il faisait un peu gris, le vent et au loin la pluie qui tombait en rideaux au delà du lac Léman, nous avions marché une bonne heure et nous étions arrêtés pour boire un coup. J'avais comme toujours pris un Perrier (régime éternel oblige) et JP une bière.

Lorsque nous étions petits, mes parents nous emmenaient sur les hautes chaumes alsaciennes, et je me souviens de ce vent doux et chaud qui soufflait et parfois nous coupait le souffle. Nous avions l'impression d'être des géants, maîtres du monde surplombant la vallée, les arbres courts sur pattes et courbés par des années de foehn nous servaient de cachette. Les pâturages jaunis par le soleil, craquants sous nos pas, dégageaient cette bonne odeur de foin qui toujours me rappelleront mon enfance. Nous restions toute la journée, pic-niquions sur une couverture, souvent le siège de la deux chevaux, bien mou, était sorti de la voiture pour que maman soit confortable, et nous venions nous reposer la tête sur ses genoux, pour repartir ensuite en courant, hurlant contre le vent.

Si j'aime le Salève, c'est parce qu'il réveille cette enfance enchantée.

jeudi 21 novembre 2019

photo n°21

03-08-2015
Nous revenions d'un restaurant, en vélo, et traversions les marais salants, faisant crisser les cailloux du chemin alors que de part et d'autre dormaient les eaux tranquilles, abandonnées des aigrettes. Il n'y avait personne sur le chemin.
Le soleil se couchait et les nuages avaient la couleur exacte d'une peinture que j'avais présentée au jury des Beaux Arts et qui m'avait attirée quelques félicitations étonnées.
C'était la première fois que je voyais en vrai ce que j'avais imaginé quarante ans avant, une nuit où je préparais ce concours.
Un ciel aux nuages bleu sombre.

mercredi 6 novembre 2019

photo n°6

Hervé - Eté 1966
Mon grand frère, au regard si bleu, qui menait notre troupe de cinq enfants joyeusement vers l'avenir. 

Où passions-nous ces vacances ? En Bretagne sans doute, avec ses plages de sable pour s'enterrer, bâtir nos châteaux aux multiples tourelles, pêcher les petits crabes au risque d'un doigts pincé, courir, encore et encore et plonger dans l'eau délicieusement froide.
Nous partions tous les sept, entassés dans l'Ariane de papa, bleue, aux ailes acérées, remplie à ras bord. Il fallait une journée complète pour que la tente soit montée, avec ses chambres individuelles et le "hall" où nous pouvions nous réfugier en cas de pluie. Nous prenions nos repas dehors, autour d'une table, assis sur les chaises pliantes, grosse casserole de rizotto et glaces en dessert dont nous gardions les petites cuillères en plastique coloré. 
Maman nous tartinait d'huile d'olive, notre peau dorait chaque jour un peu plus, et le soir, après la douche, nous nous enfoncions dans nos sacs de couchage et rêvions de soleil, de vagues emportées par les marées, de lendemains magnifiques.

Il avait douze ans, il était immortel.


samedi 2 novembre 2019

photo n°2

23-05-2010
C'était juste à l'entrée l'Aigue-morte, le soir, et sur la place juste à côté des joueurs de pétanque s'égosillaient pointant et tirant tout en buvant le pastis. Un balcon débordant de plantes grasses, le Sud, un dimanche soir.

C'était un long week-end de Pentecôte, nous étions tous les deux, sans enfant, sans chat à brailler dans sa cage durant le trajet. Il faisait tellement beau et nous avions découvert cette région que nous ne connaissions pas. Nous avions grimpé sur les remparts, faisant le tour de la ville, croisant des touristes aussi heureux que nous de ce soleil généreux. Plus tard, nous étions tombés en plein pèlerinage des gitans à Sainte Marie de la mer et avions été attendris de voir des flamands rose, pataugeant dans un étang.

Neuf ans déjà, sur les photos je suis brune, JP semble si jeune, neuf ans et cela me semble hier.



lundi 23 septembre 2019

la nuit je mens

Dans ce rêve, je venais d'arriver sur cette petite île bretonne, appartenant à des amis de mes parents. J'étais dans le coin, et je me disais que je pourrai la visiter tout en allant dire bonjour à Marine,  petit prétexte à vrai dire, depuis le temps que l'on m'en parlait, de cette île privée sur laquelle le reste de mes frères et soeur étaient déjà allés si ce n'est y dormir, au moins passer quelques heures.
A peine passé le gué, je rencontrai M.M.G., ancien amant de C., si mes souvenirs sont justes, et tout tout premier jeune homme à m'avoir embrassé, un soir de nouvel an. Etait-il seul, venait-il juste voir C. la fille de Marine ? Il avait gardé ses longs cheveux blonds, je ne savais s'il se rappelait de moi, lui qui faisait tomber dans ses bras, les jeunes filles timides ou pas. Je cachais mon identité, demandant juste si Marine était là. Hélas non, et puisque j'étais sur une île privée, je devrais partir si je ne me découvrais un peu plus. Alors, sans dire qui j'étais, je parlais du MilleClub où toute la bande nous trainions, de Mulhouse où nous avions grandi, de quelques souvenirs communs pour rester encore, le temps de faire un tour.
Et puis je suis dans sa voiture, et il m'emmène dans un club de voile, grouillant de jeunes sportifs, teint buriné par le soleil et la mer, les mats sans voile, dont les drisses claquent au vent. Tous le monde le fête, je suis en arrière, attends qu'il prenne ses affaires, rien de plus, j'attends. Et nous repartons, je me réveille.

Qu'est-il devenu ce premier jeune homme qui m'a brisé le coeur, me laissant seule avec ce baiser torride, unique, après m'avoir remplacée par la fille de Marine, si blonde, si mince, si sûre d'elle ?
Une brève recherche sur internet, il a le crâne rasé, il parcourt le monde en le photographiant, je reconnais ses yeux. Et reviennent des souvenirs d'alors, jeune fille si mal dans ma peau, je grimpais tout en haut du Rebberg, pour retrouver des copains et chanter à tue-tête et riant de concert "Quand je pense à Fernande, je bande, je bande..."

mardi 11 septembre 2018

Cette date là

Une corneille perchée sur le toit en face, dans le jour bleuté qui se lève, croasse seule. Au loin la circulation sourde et ténue, il y a dix sept ans, à cette heure là, nous ne savions pas encore que nous basculerions dans un autre monde.
G. avait dix ans, C. seize et moi à peine quarante quatre ans, Chamade n'était pas née et JP était déjà malade depuis trois ans.
Onze septembre deux mille un.
Plus tard nous avons vu les images, celles qui montraient celui qui tombe, tête en bas, une jambe pliée, tellement de classe dans cet instant effroyable. Des visages blancs, couverts de plâtre, hagards, des hommes sacrifiant leur vie pour tenter d'en sauver d'autres. l'immense tour qui lentement, si lentement, inexorablement, se fracasse, entrainant ceux piégés qui se broyaient.
Le ciel change de teinte, passe au bleu clair, il va faire encore très beau, chaud.
Je garde de cet instant où mon amie me racontait au téléphone le chaos lointain, l'image d'une pelouse si verte, brillante au soleil, le chant léger des oiseaux et au loin la paisible rumeur de la vie qui s'écoule.
Je pensais alors qu'une guerre venait de débuter...

dimanche 24 juin 2018

BBH 75

Je n'ai vu Jacques Higelin qu'une fois sur scène. Il y a trèèès longtemps, je n'avais pas vingt ans et je découvrais qu'en France il n'y avait pas que Cloclo, Sheila, et tous ces chanteurs sirupeux que j'exécrais. Cela devait être un des tout premiers concerts de ma vie, il ne m'en reste que le souvenir d'une salle sombre remplie de copains rigolards, Jacques sur scène mangeant un bouquet qu'une spectatrice venait de lui offrir, dans un grand éclat de rire général, et qu'évidemment que j'avais adoré entendre les chansons que nous chantions en boucle

 ... je suis amoureux d'une cigare-tte, elle a la rondeur d'un sein, qu'on lèche et qu'on tè-te... Paris New York New York Paris, comme un pauvre con tout seul hààà Or-Ly. Par coeur, aujourd'hui encore, alors que le disque BBH75 m'a été volé depuis si longtemps. Cela devait le seul chanteur français que nous écoutions (*), nous c'était plus Patti Smith, Eno, Lou Redd, mais Higelin nous l'aimions parce qu'il était fou. Je lui suis restée fidèle jusqu'à Tombé du ciel et son poil dans la main que je fredonne encore.

Et puis lentement je m'en suis détachée, l'amie avec qui j'avais acheté les disques (cela nous coûtait moins cher et nous vivions ensemble) a décidé de quitter la vie. Cela a été une telle blessure que j'ai effacé ce qui pouvait me la faire revenir trop brutalement dans mes souvenirs.

Un jour, alors que je ne l'écoutais plus vraiment, je l'ai vu dans une émission de talk show, bouffi, méconnaissable. Je savais qu'il sortait encore des nouveaux disques, je l'avais vu admiratif de cette elfe bondissant qui était sa fille, je l'avais perdu de vue.

 A Lisbonne j'ai appris sa mort.

 Lorsque j'irai à Paris, j'irai lui faire une petite visite dans ce cimetière que j'aime tant.


 (*) Ah mais non, il y avait aussi Bashung, le grand Bashung, et Barbara, Le Forestier, Ferré et Brel etc... Je me sens parfois si exclusive alors que j'ai un coeur ouvert au monde entier !

jeudi 7 décembre 2017

Et vous ?

Quel est votre premier souvenir avec Johnny Hallyday ? demandait hier France Info sur twitter.

Je n'ai jamais écouté Johnny, tout comme je n'écoutais pas les autres stars de la variété française. Je n'ai pas été élevée par des parents écoutant la radio si ce n'est France Musique. Papa enregistrait les concerts qui étaient transmis en direct à la radio et le dimanche, nous avions en musique de fond,  Bach, Mozart, Haendel et compagnie. Il m'arrivait de temps en temps d'entendre SLC Salut les Co ! pains ! (qui m'enchantait) mais la base c'était le baroque.

Vers treize-quatorze ans, j'ai découvert la variété mais curieusement ni Johnny, ni sa bande de potes. Je m'étais achetée le disque de Gérard Lenormand, de Gérard Palapras et quelques autres, mais pas Johnny. Je ne sais même pas si j'en ai entendu à l'époque.

Et puis j'ai quitté la maison, avec mes premiers disques de grande. Les Stones, les Beatles et autres grands classiques de maintenant. Puis grâce à un disquaire de ma rue, j'ai découvert Patti Smith, Lou Reed, Eno, les Who loin loin de la variété de chez nous.

Petit à petit je me suis constituée ma discothèque, que je déménageais d'appartement en appartement. J'ai atterri rue de la haute Montée à Strasbourg, au dernier étage, juste au dessus d'une famille nombreuse, les Anquetil. Je me suis liée d'amitié avec Lucie, la mère, adorable. Et j'ai découvert Johnny !
Johnny était tout pour eux, une idole absolue, leur aîné portait son prénom, ils aimaient follement le rock, n'écoutaient que du rock, et Johnny en était le roi.
Pour moi tout cela était incompréhensible, pour eux j'étais un mystère. Nous nous aimions beaucoup, pourtant il demeurait cette faille entre nous.
Un jour alors que j'étais dans ma chambre qui donnait sur la cour intérieure, un des enfants, empoignant la carabine qui traînait dans leur appartement, m'avait tiré dessus. La balle avait fait un impact sur la vitre, les enfants s'étaient fait sérieusement engueulés, et à la demande de la mère qui voulait comprendre pourquoi, ils avaient simplement dit "Elle aime pas Johnny".

Puis j'ai quitté mon appartement. Lucie s'est envolée auprès d'un homme plus tendre, je n'ai plus eu que de très rares nouvelles pour ne plus en avoir du tout.

Mais Johnny sera toujours, éternellement, attaché à cette famille qui, si elle existe toujours, doit aujourd'hui être profondément triste. Et hier c'est à eux qu'allaient mes pensées.


samedi 5 novembre 2016

la technologie quelle merveille !

J'étais encore allongée, dans mon lit, la tête barbouillée de notre soirée très arrosée, et je faisais défiler twitter, bercée par le ronronnement léger de Chamade heureuse de cette nouvelle journée paresseuse.
@paysanheureux1 retwittait @Quatremer : Quel plaisir d’avoir retrouvé Gerard Lefort, qui fût l’un des piliers de @libe pendant si longtemps, lors de ce @28minutes.

Gérard Lefort ! Me revient un souvenir que j'avais oublié.

J'ai toujours toujours aimé les moyens de communication, depuis toute petite. Le téléphone, objet de fascination qui me permettait d'appeler mes copines de classe et plus tard avoir de lonnngues conversations avec ma grande amie Yoyotte. Le minitel ensuite, miracle technologique qui me donnait accès à mon compte en banque, à des informations presque instantanément. Comment oublier ce titon titon tiiiiiiiii qui précédait la connexion !

Et un jour nous avons eu un télécopieur, dans notre appartement, petit, avec des rouleaux thermiques, une révolution merveilleuse. Peu de nos copains en avaient, à vrai dire aucun, mais Libé si !

Un matin, après avoir lu un article de Gérard Lefort qui me faisait tant rire, j'ai envoyé un fax pour lui dire combien j'appréciais ses articles, lui dire aussi je crois ce que je pensais d'un truc qu'il avait dit et dont je n'étais pas tout à fait convaincue. ET IL M'A RÉPONDU !!! A MOI !!!
Nous avons alors débuté un dialogue qui a duré quelque temps.

J'étais absolument épatée que moi provinciale sans diplôme, je pouvais tranquillement discuter avec un journaliste DE LIBÉ, de Paris !

Alors j'ai continué, et plus tard internet m'a permis là aussi d'avoir quelques discussions avec d'autres journalistes, intéressantes et respectueuses.
Mais ce télécopieur a été pour moi une ouverture majeure sur le monde, une porte de sortie de ma petite ville si tristounette. Et même si depuis longtemps il a disparu je ne sais où, en y pensant j'en suis encore émue.

vendredi 27 mai 2016

Sous les pins



Elles dormaient depuis la mort d'Hervé, dans des cartons planqués sous les lits de la chambre d'enfant. Avant ce grand malheur, le rituel, institué par mon père lors des fêtes de Noël et nouvel an, comportait au moins une sortie du projecteur dans lequel papa faisait défiler les casiers remplis de notre petite enfance. Et nous nous extasions, riions, pinaillions, rêvions devant ces moments de grâce familiale.
Et puis cela est devenu trop douloureux de revoir certaines diapos, maman doucement pleurait, papa stoppait la projection, nous avons refermé la porte.

C'est en ressortant de vieilles boites à photos pour revoir un ami de Beaux Arts, mort en ce début d'année, que JP a pensé à s'offrir un appareil pour numériser les diapos. Mon vieux rêve de ressusciter l'enfance disparue était enfin imaginable. Et JP patiemment a commencé, lors de notre semaine alsacienne, à numériser une à une ces diapositives recelant des trésors.

Me voilà à Ravenne, discutant avec Maman, le petit déjeuner terminé, sous les pins, la mer si proche.
Je peux même sentir le bois craquer et le soleil chauffer la résine odorante.