mercredi 18 juin 2025

Netvibes

Depuis des années, sans doute rapidement après avoir ouvert mon blog, j'avais un agrégateur de flux RSS que j'avais complété au fur et à mesure de mes découvertes. Ces derniers temps beaucoup étaient caducs, mais je les gardais au cas où ils se réveilleraient et peut être aussi un peu par nostalgie du temps flamboyant des blogs. Le matin j'y faisais un tour, lisais ceux mis à jour, survolais parfois, petite routine établie depuis presque vingt ans. 

Le 3 juin j'ouvre mon agrégateur, Netvibes, et découvre une page bleue sur laquelle Dassault système détaille en anglais des trucs dont je ne pige que couique. Je tente et retente d'accéder à mon espace, impossible. J'essaye de comprendre ce qui m'arrive, ai-je fait une boulette quelque part ? Mais rapidement je lis que Netvibes a été racheté par ce Dassault système qui m'a accueillie ce matin. Terminé, fini, effacé Netvibes, en une nuit, sans que le mail qui était supposé me prévenir me soit parvenu, tout est parti dans les limbes d'internet sans que je puisse récupérer ma liste chérie.

Depuis dès que je retrouve une adresse, souvent via des commentaires sur les blogs dont j'ai rapidement retrouvé l'adresse, je rapatrie une à une les adresses sur mon blog à moi qui pour l'instant, tant que Google ne me fait pas un coup de Trafalgar, est l'endroit le plus sûr.

Malgré tout, ce petit rituel du matin me manque, l'agrégateur était tout de même plus pratique que cette liste qui ne me dit pas qui a ou pas publié un nouveau billet. 

Je m'y fais par la force des choses, lentement, tristement.


lundi 16 juin 2025

Adieu - 10

Je me suis réveillée un peu avant sept heures, j'ai saisi mon téléphone et j'ai lu le message reçu à trois heures quarante quatre de ma soeur "Papa ne respire plus".

J'ai dévalé l'échelle de la mezzanine, mis en route la bouilloire, pris ma douche, lavé mes cheveux ; puisqu'il était mort nous entrions dans un espace temps que je ne maîtriserai plus, de quoi seront faits mes prochains jours, autant être propre... de toute façon il était mort.

Vite avaler un café noir, sauter dans mes vêtements, je suis partie vers Cochin en marchant vite, très vite,  retrouver mon père... mort... était-ce possible ? 
Mais, s'il s'était réveillé nous aurions eu un autre message non ?

En marchant dans les rues, croisant les parisiens pressés, je mesurais combien chacun peut vivre un drame tout en n'en laissant rien paraître, prendre la rue St Jacques, passer devant l'institut des sourds muets puis le Val de Grace, traverser le boulevard du Port Royal, passer le porche, regarder le ciel et se dire que peut être était-il juste là, au-dessus. Ma fille apprenant la mort de papa m'écrira "s'il y a quelque chose après, il doit passer un moment exceptionnel. Je l'imagine analyser toute cette nouveauté, ce champs de nouvelles infos, d'expériences. Une nouvelle aventure commence sûrement pour lui."

En entrant dans la chambre, papa est allongé, comme hier, comme avant-hier, la bouche légèrement entre ouverte. Maman assise sur le lit d'appoint, ma soeur au pied du lit. Nous nous embrassons silencieuses, je m'approche de celui qui depuis ma naissance fait partie de ma vie et qui vient de la quitter. Il est beau, le visage serein, tendrement je l'embrasse, lui chuchote merci d'avoir été mon papa. 

Ensuite mes frères arriveront, et plus tard encore le médecin venu constater le décès. Un interne adorable discutera longuement avec maman, répondra à toutes ses questions, je commence à assembler ce qui a fait sa vie dans cette chambre, ses vêtements de rechange, ses affaires de toilettes, les compléments alimentaires, les crèmes pour adoucir son corps qui tentaient encore un peu de lui dire notre amour pour lui.

Je console mon petit frère qui s'effondre de douleur, nous laissons maman un peu seule avec papa, en allant dans le couloir, qu'elle puisse lui dire au revoir. 

Et puis deux hommes silencieux viennent le chercher, maman repart en taxi avec mon petit frère et tous les sacs. J'irai encore le voir à la morgue avec mon grand frère et nous rentrons à pied, sous le soleil.

Le soir maman nous invitera tous dans le restaurant où ils avaient coutume d'aller. Nous y avions célébré l'anniversaire de papa et fêté nos rares venues à Paris. Papa est là, autour et à l'intérieur de chacun de nous et cela fait du bien de parler de lui, goûter les plats qu'il aimait particulièrement, nous retrouver ensemble encore un peu. 

En Novembre ils y avaient fêté leurs 72 ans de mariage, s'aimant encore et encore.

dimanche 15 juin 2025

un dernier baiser - 9

La nuit a passé calmement, parfois il semble inconfortable ou rêve t'il ? Mais il n'ouvre plus du tout les yeux, s'apaise vite, nous sommes hors du temps, doucement il s'éteint.

Le professeur Goldwasser vient le voir, cet homme dégage une bonté hors du commun, il discute longuement avec maman, et nous regrettons que papa ne puisse lui aussi prendre part à cette conversation qui l'aurait passionné. 

Je laisse la place à mon petit frère qui restera dormir avec maman. Tout comme papa avant de sombrer dans cette torpeur, a dit et redit en alsacien à maman combien il l'aimait, maman passe sa nuit à lui chuchoter son amour. 

Le lendemain je prends à nouveau la relève, maman rentre se reposer quelques heures, il pleut affreusement. Mon grand frère me rejoint. Je suis assise à côté de la tête de son lit, je lui caresse légèrement le crâne, doucement pour ne pas l'agacer, parfois je lui masse un peu les mains, les pieds, nous discutons mon frère et moi, évoquons des souvenirs, rassurons papa sur l'avenir de maman. 

A un moment je pose mon iPhone à côté de lui, et passe les variations Goldberg intégralement. Parfois T. sort faire un tour, je reste là, vigie de cette vie qui doucement nous quitte. 

Dans l'après-midi, la porte s'ouvre et un homme simplement vêtu, un sac à dos porté sur l'épaule, semble hésiter à entrer. C'est un prêtre, appelé par qui ? Nous l'invitons à entrer, mes parents ont été un temps très croyants, et malgré tout, ont gardé un fond chrétien même s'ils ne vont plus à la messe depuis très longtemps.  Ce n'est pas à nous de dire si oui ou non il peut rester un moment avec papa, mais nous lui disons ses doutes, combien il a été consterné d'apprendre les agressions dont ont été victimes des enfants par des prêtres. Nous les laisserons seul un instant, papa est suffisamment intelligent, s'il peut encore percevoir quelque chose, pour faire la part des choses. 

Le soir nous nous retrouvons tous autour du lit, au moment de partir je vais embrasser papa, et je repars à pied avec T. laissant ma soeur et maman prendre leur garde nocturne. 

Dans la nuit je me réveille à trois heures vingt sept et me rendors. Papa venait de quitter notre vie.


samedi 14 juin 2025

de la douceur - 8

Le lendemain, après une nuit assez douloureuse, il est décidé de mettre en place une perfusion de paracétamol et toujours en complément les bolus de morphine que nous donnons quasiment à chaque fois que cela est possible. Il lui devient impossible de boire de l'eau, de manger, les fausses routes sont systématiques De moins en moins présent, mais il ouvre les yeux parfois, et semble encore avec nous.

C. est arrivée de Tunis, un de mes neveux habitant Paris vient faire un tour, nous nous relayons à son chevet et nous nous retrouvons, nous qui sommes dispersés aux quatre coins de l'hexagone. C'est triste et en même temps cela fait du bien d'être tous là ensemble.

La nuit du 25 eu 26 janvier, ma soeur et mon petit frère restent la nuit pour veiller papa. Il respire très calmement, n'ouvre plus les yeux. Une nouvelle perfusion à fait son apparition, un benzodiazépine pour apaiser ses angoisses.

Le 26 se passe tranquillement. Je suis allée acheter le parfum de maman "Jardin de Bagatelle" qu'elle met depuis des années pour qu'elle puisse à nouveau se parfumer en allant voir papa. Lorsqu'elle entre dans la chambre et se penche pour l'embrasser, parfumée, il sourit, la reconnait donc, mais il n'ouvre plus les yeux.

Une perfusion de morphine, légère mais continue est mise en place.

Il est allongé, la tête légèrement en arrière, la bouche entrouverte, le visage détendu avec de temps en temps des expressions interrogatives. Peut être est-il encore entrain d'analyser ce qui lui arrive ? Autour de lui nous bavardons, nous taisons, le caressons doucement, lui disant combien on l'aime, combien il a été un père formidable, l'ambiance est apaisée.

C'est mon tour de garde pour cette nuit. Maman reste aussi. La nuit elle se lève, se penche au dessus de papa, lui dit qu'elle l'aime, l'embrasse. Dans la soirée elle lui a chanté une berceuse qu'il aime bien, la nuit se passe tranquillement, je compte les temps de pause entre les respirations...


vendredi 13 juin 2025

Ensemble - 7

Bien que papa soit enfin à Cochin, il reste très angoissé et lorsqu'on lui demande s'il souhaite que l'un de nous passe la nuit avec lui, immédiatement il accepte. Il a du mal à réaliser qu'il a changé d'hôpital, même plafond, même odeur, fenêtre à droite, potence. Je vais donc rester là, et rapidement un lit est installé, très confortable. Les aides soignantes sont très gentilles, l'ambiance dans ce service où la vie souvent ne tient qu'à un fil est très calme, sereine, les infirmières font tout pour ne pas faire souffrir papa, il n'y a pas d'heure limite de présence, et sans doute aussi parce que papa est en fin de vie (mais là encore les mots ne sont pas posés), nous sommes autorisés à être plus de quatre dans la chambre.

Je passe la nuit à presser sur la pompe à morphine dès qu'elle clignote vert, pour que papa ne souffre plus. La nuit est relativement calme, je ne dors quasiment pas, je ne veux pas que la douleur puisse se réveiller, je ne veux plus que mon père souffre. 

Maman vient prendre la relève, papa ne sera plus jamais seul jusqu'à sa mort, plus une seconde, il y aura toujours l'un de nous, assis à côté du lit, guettant les moments où il sort de sa torpeur, on parle peu, on lui dit qu'on l'aime.

Lorsqu'une des aides-soignantes, particulièrement lumineuse et aimée de papa vient prendre la relève, elle ne le reconnait pas. A mi-voix je la rappelle alors qu'elle quitte la chambre "Sandrine ? oui dit-elle étonnée ne me connaissant pas. "Je ne sais pas si vous avez reconnu mon père, venu en décembre, le Dr B." Elle est stupéfaite, revient vers papa, se penche au dessus de lui, doucement elle lui parle "Bonjour monsieur, c'est Sandrine" elle lui caresse doucement les cheveux, il ouvre les yeux, la regarde et d'un coup le bonheur envahi ses yeux "Ohhh MERVEILLEUX !" Emue aux larmes, elle reste encore un instant, lui parlant et lui la regardant, maintenant il est sûr qu'il est enfin dans ce service tant espéré.

En retournant rue de Bièvre j'appelle C., lui dit que papa est entrain de mourir. Elle décide de venir à Paris le week-end pour lui dire au-revoir. Evidemment j'ai le fol espoir qu'ils vont trouver un traitement qui permettra à papa, sans le guérir ça je le sais, de vivre encore quelques temps, que nous puissions le retrouver tel que nous l'avons toujours connu, plein d'intérêt pour ce qui fait une vie. Mais malgré mon optimisme démesuré, au fond de moi je sais qu'il est arrivé au bout. 

Je retourne à Cochin avec mon grand frère, sur le chemin nous appelons mon petit frère qui est encore à Strasbourg, inquiet. T. lui dit les choses, sans exagérer, sans minimiser, il va mal simplement. A peine avons nous raccroché qu'il file prendre le train, le soir il sera au chevet de papa.

Et nous sommes tous réunis autour du lit, les quatre enfants qui restent et maman. Une douce veillée, nous bavardons, échangeons des souvenirs, papa participe, heureux, très heureux que nous soyons tous là. Il égrène lentement, avec solennité, le prénom de chacun de ses enfants, Hervé en premier, qui peut être l'attend de l'autre côté. Il termine avec maman, son amour et le sourire illumine son visage. De temps en temps une infirmière passe, régler les perfusions, pour l'instant la morphine n'est pas encore donnée en continu et papa peut encore boire et manger. Il n'a plus vraiment faim, a perdu un peu le goût des aliments, mais il est là, présent.

Cette nuit c'est T. qui dormira avec lui, nous repartons les laissant seuls.


jeudi 12 juin 2025

chambre 406 - 6

La nuit a été affreuse, maman est effondrée de voir papa souffrir autant, découvrir la réalité des nuits d'enfer que lui fait vivre cette foutue infirmière. Heureusement ! Qu'il ne soit pas seul dès le matin change son moral. Il est souriant dès que la morphine donnée à petites doses calme ses douleurs. 

Je suis à peine arrivée que la bonne nouvelle tombe, une place s'est libérée à Cochin, papa sera transféré demain à 11 heures. Et nous mettons tous, notre espoir là dedans. Il n'est plus question maintenant de le laisser seul la nuit. Et pour la seconde fois maman restera auprès de papa. 
La journée se passe tranquillement, maman, papa et moi, nous bavardons, il s'endort régulièrement, apaisé de nous savoir juste là. Maman lui donne son repas, insiste pour qu'il mange un peu plus, mais il n'a pas faim, et surtout, il fait de plus en plus de fausses routes qui le fatigue. Il boit avec grand plaisir le café que je lui ai fait le matin juste avant de partir, sur les conseil de ma petite soeur.

Le lendemain enfin, avec une heure de retard et un voyage terriblement douloureux, papa est dans sa chambre n°406 du pavillon Copernic, entouré de personnel compétent et si doux, quel changement.

Mon frère ainé, après une longue conversation la veille, où j'ai donné à mots couverts mon impression plutôt pessimiste de l'avenir, avait décidé immédiatement de venir nous rejoindre à Paris. Son train arrivé à midi, on se retrouve à l'Estrapade où j'y ai passé la nuit pour accueillir le matin tôt, la femme de ménage. Nous déjeunons en attendant de pouvoir aller à l'hôpital, maman va rentrer se reposer quelques heures, très éprouvée par ces deux jours non stop enfermée avec papa et nous voulons l'embrasser avant.

Mon père que j'avais prévenu de l'arrivée de T. en lui expliquant que l'on s'angoisse toujours plus lorsqu'on est loin, se réjouissait de le voir. Nous sommes allés à pied, heureux de nous retrouver, une petite vingtaine de minutes jusqu'à ce qui sera la dernière demeure de mon père.
A notre arrivée, à son chevet ma soeur peinant à retenir ses larmes et le médecin qui donne les résultats de la biopsie faite en tout début d'année, papa très fatigué nous sourit.

Il s'agit donc d'un cancer neuroendocrinien de la prostate, adieu radiothérapie... D'une part il est maintenant impossible d'envisager de faire subir encore et quotidiennement des trajets aller retour à papa, et d'autre part, seule la chimiothérapie pourrait avoir un effet sur les cellules, mais plus à l'âge vénérable de papa. On se dirige vers des soins palliatifs sans toutefois encore en dire le mot. Papa sait, il est médecin, il ne dit rien, écoute.

Nous sommes le 22 janvier, il lui reste sept jours à vivre...


mercredi 11 juin 2025

une dernière photo - 5

Dimanche ma soeur a pris le relais auprès de papa, elle voulait être seule avec lui, j'ai passé la journée avec maman. 

Les nouvelles sont très moyennes et nous espérons tous qu'une place se libère dans le service du professeur Goldwasser à Cochin où papa a déjà ses entrées et connait beaucoup de monde. Il est temps qu'il quitte cet hôpital, pour maman qui passe des heures en taxi, et surtout pour ne plus avoir à faire au dragon de nuit. 

Le lendemain je suis de retour, alité papa ne tente plus vraiment de se lever, il nous accueille avec un grand sourire de soulagement. Je suis venue avec maman qui, bien que très fatiguée, a fait l'effort après mon insistance, de venir. Et papa est si heureux de la voir que cela me transperce de douleur à imaginer sa tristesse de ne pas l'avoir vu pendant trois jours.  Elle est stupéfaite de le voir si angoissé, si douloureux, si mal de se sentir abandonné, et immédiatement exige de rester avec lui la nuit. Elle est si impériale que le médecin ne peut s'y opposer.

Plus personne dans le service ne peut nier que la souffrance qui étreint papa est réelle et insupportable. Enfin, enfin le médecin décide de prescrire de la morphine quand vraiment le paracétamol ne fait plus effet. Son regard perdu, hagard, redevient vivant lorsque les effets se font sentir. Il est de nouveau là, nous discutons tous les trois et rions même. A un moment il me regarde complice et dit qu'il comprend maintenant le plaisir de "se droguer". Il analyse l'effet de cette drogue, apprécie l'apaisement et s'amuse aussi d'avoir des rêves farfelus qui en découlent. 

Je fais un aller retour Vitry Estrapade pour chercher des habits de rechange pour maman, lui apporter aussi ses médicaments, ses affaires de toilettes, et surtout permettre à ces deux grands amoureux de se retrouver seuls. Papa la regarde avec émerveillement et lui dit tout au long de la journée, "Ich han dich garn"(*).

Le soir, même si nous n'avons toujours aucune nouvelle de Cochin, je quitte mes parents heureux d'être réunis. Je fais, sans le savoir, la dernière photo de ce couple indestructible et souriant.

Je pars pleine d'espoir. 


(*) je t'aime en alsacien