vendredi 1 février 2019

Sa vie lentement

Cela faisait des semaines que Chamade déclinait, nous avions même, un soir un peu avant Noël, pensé que c'était ses derniers instants.

Nous regardions la télévision, la nuit était tombée, Chamade se promenait dans l'appartement, allant et venant sans bruit. Tout à coup elle avait miaulé, d'un miaulement rauque, comme angoissée. Je l'avais appelée, Chamade, ma Chamade, nous sommes là, vient ma chérie. Elle était arrivée, l'air effarée, la tête penchée comme cassée sur son épaule, titubant, vacillante. Je m'étais levée d'un bond, l'avais prise dans mes bras et une fois posée, toute raide, sur mes genoux, j'avais doucement pris sa tête pour la remettre dans l'axe tout en lui parlant, l'embrassant, plongeant mes yeux dans les siens qui petit à petit s'étaient apaisés.

Au bout d'un moment elle s'était mise à ronronner, et son corps s'était détendu, elle avait voulu redescendre de mes genoux, pour repartir baguenauder dans l'appartement, attendant sagement que je veuille bien me coucher.

Nous nous étions alors demandé si cela ne signait pas le début de la fin. J'avais cherché sur internet la raison possible de cette tête arquée, problème d'oreille interne sans doute.

Noël était passé sans encombre. Nous avions aménagé son espace pour qu'elle puisse sans trop de stress et de douleur, aller faire ses besoins dans sa caisse proche, manger et boire tout près du lit où elle passait la majorité de ses journées. Mais elle avait tout de même fait quelques petits, tout petits tours dehors, et cela m'avait réjouie de penser qu'elle goûtait encore le vent frais dans son pelage, la caresse des rares herbes sur son museau.

Elle avait profité des derniers soirs où toute la famille était repartie, pour dormir collée à son G. chéri.

Nous étions revenus d'Alsace, heureux qu'elle ait pu voir encore les enfants, et nous avions repris notre vie faite de questions et d'angoisse à son sujet. Elle menait sa vie restreinte, grignotant les délices que je m'évertuais à trouver pour qu'elle soit tentée. Un peu de rillettes de poulet grillé, de la tarama, des crevettes fraiches, absolument fraiches sinon elle les ignorait. J'avais testé toutes les boites et sachets spécial chat difficile, dans lesquels elle picorait et lapait le peu qui la tentait. J'avais découvert que le jaune d'oeuf cru, battu, lui plaisait bien, c'était ce qu'elle arrivait le mieux à manger, mais nous étions arrivés à la valeur d'une cuillerée à café par jour de nourriture, elle était devenu d'une maigreur absolue.

J'avais alors pris rendez-vous avec sa vétérinaire, mardi 22 janvier, pour qu'elle me dise ce qu'elle pensait de son état. N'étions nous pas entrain de la faire souffrir de peur du cataclysme que provoquerait sa mort ?

Dans la salle d'attente, attendant notre tour, nous nous regardions les yeux dans les yeux, nous entendions derrière la porte du cabinet, qu'un drame se passait. Une femme sanglotait fort, la voix d'un homme tentant de l'apaiser, et le regard désolé de la secrétaire, en disait suffisamment long pour ne pas poser de question. En entrant dans la salle de consultation, je l'avais sortie de sa caisse, et son regard ne m'avait pas quitté un instant durant tout le temps que je parlais.
C'est ce regard si présent, si fort, qui avait convaincu la vétérinaire que sa vie avait encore un sens.

Nous étions rentrées tellement soulagées. Elle s'était jetée sur son bol de croquettes, avait dévoré tous ce qui étaient posés dans ses petites coupelles et la soirée avait été sereine et heureuse.

Nous nous étions mises au lit, endormies assez vite. Je me suis réveillée tout à coup, pas de bruit, mais le sentiment étrange d'un dérèglement de l'espace. Evidemment, comme à chaque fois que j'ouvrais l'oeil, quelque soit l'heure, je l'ai cherchée et trouvée tout au bout du lit. Elle dormait, je me suis rallongée et relevée brutalement. Il y avait quelques chose d'étrange, dans sa posture, sa tête pendait hors du lit. Je l'ai prise, ses yeux grand ouvert me fixaient désespérés. Elle était raide, et ses pattes avaient des soubresauts, les griffes fendant l'air, cherchant je ne sais quel support pour retrouver son équilibre. Je l'avais serrée fort dans mes bras, pour la rassurer, l'embrasser. Petit à petit elle s'était détendue. Lorsqu'elle avait repris son souffle, je l'avais posée contre moi, caressant doucement son poil si doux, et nous nous étions rendormies ensemble.

Sa tumeur prenait des proportions folles, je ne lui faisais son pansement que tous les trois quatre jours, pour ne pas trop la faire souffrir. Elle avalait avec de plus en plus de réticence son antibiotique, serrant les dents pour que je ne puisse lui ouvrir la gueule, recrachant si elle le pouvait le minuscule comprimé.

Mais elle se réjouissait quand un ami débarquait, elle allait avoir son apéro. Et puis consciencieusement, au réveil, elle allait faire ses griffes dans son précieux carton, où elle aimait se poser, carrefour entre le séjour et la cuisine. Le soir elle avait pris l'habitude de sauter, avec de plus en plus de mal, sur mes genoux pour s'allonger et s'endormir devant la télévision. A la fin elle s'asseyait, attendant que je le prenne, n'arrivant plus à sauter.

Elle allait très souvent dans sa caisse que je nettoyais deux à trois fois par jour. Elle restait de longues minutes assise devant son bol d'eau sur lequel flottaient quelques feuilles de cataire. Buvait trempant son cou que je séchais ensuite, délicatement, avec un mouchoir blanc.
Mais les deux derniers jours, trop faible sans doute, nous la retrouvions couchée dans son pipi. J'avais acheté des alèses pour bébé que je glissais dans des taies d'oreiller pour pouvoir les changer autant de fois qu'il fallait. Je la lavais avec un gant de toilette humide pour qu'elle sente toujours bon, elle si coquette.

Et puis elle a semblé avoir du mal à respirer, ses côtes se creusaient, elle ne pouvait presque plus marcher.

Quand je suis rentrée à midi le 29 janvier, elle m'a regardé sans réagir. Je l'ai prise dans mes bras, embrassée comme à chaque fois et me suis assise, lui caressant tendrement son corps, sa tête posée dans mon cou.



Ce moment que je redoutais tant depuis des semaines était arrivé...

8 commentaires:

looloo a dit…

Ho la la, j'ai de nouveau les larmes aux yeux, de tristesse pour la perte de Chamade, mais aussi de reconnaissance pour tout ce que vous avez fait pour elle.

Biz,
lulu

manoudanslaforet a dit…

Ma gorge se serre....je revois mon Gaspard cet été miaulant à fendre le coeur, me regardant et s'approchant de moi pour que je le prenne (il a eu une crise calcul ...)Ces petites bêtes sont tellement intelligentes...

Anonyme a dit…

Tellement triste pour vous. J’adore les chats et quand l’heure vient c’est très difficile. Courage.
Je vous suis depuis pas mal de temps, sans commenter.

Ginou a dit…

En te lisant ma gorge se serre , tu as raison d'écrire tout ce que tu ressens et de le partager, pleurs tout ton soul . Toi, JP avez tout fait pour soulager la souffrance de cette douce Chamade.
Affectueuses pensées. Je t'embrasse

Dr. CaSo a dit…

Ta jolie Chamade a eu bien de la chance d'être avec toi, JP, et les enfants pendant ces dernières semaines, elle a été gâtée et adorée autant qu'il se doit :) G. aussi doit être bien triste ces jours-ci, je me souviens que tu racontais souvent combien Chamade était heureuse quand elle pouvait être avec lui!

Grosses bises de Calinette et moi! Et Calinette m'a dit, ce matin, qu'elle savait que Sosso prenait bien soin de Chamade et qu'elle lui avait déjà fait visiter les fauteuils les plus confortables et les cuisines où l'on sert les crevettes les plus fraîches!

Valérie de Haute Savoie a dit…

looloo, merci vraiment

manoudanslaforet, la nôtre ne disait plus rien. C'est dur de voir souffrir son animal et d'être si démuni

Anonyme merci pour ces mots

Ginou, je ne veux pas pleurer toute ma vie, je veux revenir dans le monde, mais jamais je pense que je ne l'oublierai

Dr CaSo comme tu es gentille, je sais combien tu me comprends et de là où sont toutes nos chéries, elles croisent leurs pattes pour que Calinette reste encore longtemps ta grande chérie caline.

dieudeschats a dit…

Je découvre tes dernières notes et je pleure sur mon clavier... Que ces moments ont dû être difficiles pour toi, pour vous.
C'est déchirant de voir partir à petit feu ceux qu'on aime, on peut juste espérer leur montrer tout notre amour et alléger au mieux leurs souffrances.
Adieu Chamade, tu ne seras pas oubliée. Tu es dans le cœur des tiens et de plein de gens qui ne t'ont même jamais rencontrée... mais qui ont eu la chance de te connaître un peu malgré tout.
Je voudrais te serrer dans mes bras Valérie ♥

Valérie de Haute Savoie a dit…

dieudeschats, merci merci beaucoup de ces mots qui me vont droit au coeur. Je sais combien tu aimes les chats...