lundi 18 mai 2009

CRS et autres tomates

A tout juste dix neuf ans, après avoir abandonné les cours aux Beaux Arts et du même coup mon petit boulot de femme de ménage au centre de réadaptation, il fallait que je trouve un truc un peu plus lucratif, et ce truc, je l'avais trouvé juste à côté de mon superbe appartement deux pièces-cuisine-sous les toits et sans salle de bain à 75 francs charges comprises (soit 11,43 €).

Va voir au bistrot rue Vauban, m'avait dit un copain, ils cherchent une serveuse.
Serveuse ? Pourquoi pas !
Sans trembler j'avais poussé la porte vitrée, traversé la salle où autour de petites tables carrées, devant bières et pastis, des hommes, plus ou moins jeunes, jouaient aux cartes en bavardant. Le patron, derrière son bar, m'avait regardée un peu suspicieux "Vous savez tirer des bières ?" Bien sûr ! J'avais fait cela toute ma vie et puis franchement, soulever une manette et laisser couler la bière jusqu'au trait, rien de compliqué. Hop embauchée, embauchée mais pas déclarée. Qu'importe les flics qui s'accoudaient au comptoir, je n'aurais pas à remplir une feuille d'impôts, c'était le principal.

Le lendemain, j'enfilai ma robe housse, noire à petites fleurs, un petit slip, mes spartiates et roulez jeunesse !

Il fallait être là à six heures, les oeufs qui trôneraient bientôt à côté de la caisse se trémoussaient dans l'eau glougloutante, une odeur de choux et de saucisses emplissaient l'air et devant la porte attendaient quelques petits vieux, pressés de venir boire leur café matinal.
On m'avait donné un tablier blanc bordé de dentelle blanche que j'avais ceinturé au dessus d'une sorte de porte monnaie en cuir mou, noir.

Brancher le jude box, allumer les lustres, les premiers clients, dès la porte ouverte, foncent vers leurs places attitrées.
Un CRS s'il vous plait. Ils ont le sourire tendre pour la petite nouvelle ! Un CRS vous savez ce que c'est ? Ils rigolent. Depuis le temps ont la couleur des nappes, des murs ou des carrelages, s'installent à six heures trente, repartent la nuit tombée. Un CRS, Mademoiselle, c'est un café rhum sucre !
Va pour des CRS jusqu'à dix heures, puis nous passerons aux tomates.
Ah ! ma première tomate ! L'air ahuri de celui qui m'a vue poser un verre, le sel de cèleri, et ouvrir délicatement la petite bouteille de jus de tomate. C'est quoi ça ? Ben... une tomate non ? Éclat de rire ! Mais ma petite, c'est pastis grenadine qu'on boit nous !
Et puis il y a eu la première bière, qui sort sauvagement de la tireuse, ne fait que de la mousse, éclabousse tout alentour. Vous êtes sûre d'avoir déjà tiré une bière ? Penaude... Mais qui très vite allait être juste comme il faut, pas de faux col, belle et pétillante, glacée, un vrai délice.

Chaque jour je jouais ma pièce, heureuse, valsant autour des tables, taquinant les vieux messieurs qui lentement s'inclinaient comme décline le jour.
"Y'a du monde au balcon" disaient-ils, le nez dans mon décolleté. Et je me retournai. Ah bon ? Quel balcon.
Ils adoraient ma naïveté, et juste pour me voir onduler, choisissaient mon morceau chéri des Sparks délaissant Johnny et Elvis qui croupissaient au fond du Jude Box.


Ah oui vraiment, j'adorais être là !

8 commentaires:

julio a dit…

A le bistrot une de mais nostalgie ! Moi je n’embête jamais la serveuse !
Je me présente je m’appelé Henry, je voudrai réussir ma vie, être beau, est surtout intelligent !
Au baby foot je suis bouche troue !
J’ai encore rêve d’elle ! Moi aussi !
Les heurs perdu au bistro avec les copains, est les filles racoleuse !

Mel a dit…

Tu sais que Martin Gore (de Depeche Mode) a fait une très belle reprise de cette chanson (Never turn your back on mother earth) ? A découvrir, vraiment.

IsabelleDeLyon a dit…

Il y a des passages de notre vie qui ont une place à part, on était heureux, tout était simple et ce n'est qu'après coup qu'on se rend compte combien c'était bon.
Je ne peux pas écouter la musique je suis au boulot, j'écouterai de chez moi.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Mel, je suis allée écouter sur Youtube la version de Martin Gore, pas mal tu as raison, mais je garde ma préférence pour les Sparks qui était un de mes groupes chouchou en 75.
Julio, j'ai passé des journées entières au bistrot :)
Isabelle, je crois que l'on prend conscience de la brièveté de la vie que très tard... C'est vrai qu'à cette époque je brûlais littéralement ma vie.

Lancelot a dit…

Ah c'était en 75....? Hummm ... long souvenir nostalgique du petit garçon qui avait passé quinze jours en Alsace cet été-là...

Tu devais être mignonne, en serveuse qui lance des vannes rapides et des éclats de rire aux clients ! Je te vois tout à fait dans ce rôle... Pas étonnant qu'ils t'aimaient bien tous ! ;-)

Anne a dit…

Ah 75, un grand cru ! Bon, j'allais au bistrot des biberons, cette année là, mais j'ai plus tard passé des journées au bistrot, aussi, dans le même genre de contexte, à peu près. C'était bien, c'était chouette !

Alexandre a dit…

il y a une âme vraiment particulière dans les bistrots. J'y ai passé des journées, à lire tranquillement, avec un café et un verre d'eau, jusqu'à devenir un habitué, discuter avec les patrons, la serveuse, et parfois les piliers de bar, que j'écoutais toujours de derrière mes livres, parfois un peu critique de par la "différence de niveau" que je percevais, mais avec une certaine tendresse.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Alexandre, les bistrots de maintenant je ne les connais plus vraiment, mais lorsque j'avais 17/18 ans, j'y passais ma vie. Le jour j'y travaillais, la nuit je refaisais le monde au son des judebox.
Anne, serveuse ?
Lancelot,les Sparks en 75 étaient un de mes groupes chéris, et en réécoutant les morceaux pour chercher celui du judebox, je me souvenais de tous les accords, les soupirs, les silences, les reprises (tout cela dans mon globish perso)
Pour moi, le bistrot était une scène merveilleuse où je pouvais jouer une vie qui n'était en rien celle que je vivais ailleurs.