Ils avaient quitté Strasbourg, s'étaient installés chez oncle Louis et tante Jeanne, à Colmar rue de la Semm. Maman, sa petite soeur, son petit frère, et ma grand'mère Marie Thérèse. Ernest, leur père, lentement se remettait de la turbeculose, là haut dans le sanatorium.
La guerre bientôt serait déclarée, Strasbourg devenait dangereux, les nouvelles étaient de plus en plus tristes. Mais la maison d'oncle Louis était grande, avec un très beau jardin.
Plus tard, lorsqu'Ernest sera remis, ils quitteront Colmar et s'installeront le temps que cette foutue guerre s'arrête, si tant est qu'elle s'arrêtera un jour, à Pfaffenheim.
Les enfants avaient emporté lors de cette retraite, une grande quantité de jouets, poupées, landaus, berceaux, dinette, tout ce qui fait l'enfance.
Alors ils jouaient, tous les trois, Maman tout juste huit ans, avec leur cousin Gérard, l'aîné de cette troupe.
Un de leurs jeux favoris consistait à sortir toutes leurs poupées, les berceaux, les landaux, la dinette, et de très consciencieusement installer tout cela dans le jardin. Les poupées assises, à côté des berceaux, en pique nique, prêts à prendre le thé, manger leurs gâteaux imaginaires. Cela prenait du temps, il fallait que tout soit parfait. Il faisait déjà très beau en ce début d'été 1939, et jouer dans le jardin aux fruitiers nombreux, pelouse entretenue, si grand que l'on pouvait croire qu'il n'avait pas de limites, était un vrai régal.
Une fois que tout était parfaitement organisé, Gérard sortait de la maison, descendait les marches en pierre, et hurlait EVACUATION, EVACUATION. Immédiatement, il fallait tout rassembler dans l'urgence, en vrac, jeter tout dans les berceaux, empoigner les landaus, et fuir fuir jusqu'au fond du jardin, dans une excitation jubilatoire.
Et tout recommençait, installer une à une les poupées, remettre en ordre les draps, border les couvertures, disposer la dinette, tout en bavardant en vraies petites mamans s'occupant de leur marmaille. Comme si la guerre n'existait pas. Jusqu'à ce que brusquement se remette à hurler leur cousin chéri, EVACUATION, EVACUATION et à nouveau l'effervescence pour tout rassembler et filer dans des hurlements de rire, poupées, dinettes dans les berceaux en vrac, jusqu'à l'autre bout du jardin.
Il fallait bien à un moment s'arrêter pour aller gouter les bonnes tartines recouvertes de confitures d'abricot que faisait tante Jeanne.
Le lendemain, les évacuations feraient de nouveau partie de ce monde imaginaire...
De la guerre Maman garde de très jolis souvenirs qu'elle me raconte lors de nos longues conversations téléphoniques. Très calmement confinés, mais profitant aussi de ce Paris sans voiture, aux arbres fleuris, ils font des petites balades d'une heure, leurs attestations bien remplies, les masques sur le visage, attendant que passe cette si curieuse période, hors du temps, qui réveille leur enfance bousculée.
Papa dit qu'il fêtera sans doute le 19 juin, ses 91 ans confiné, et Maman se dit que ses 90 ans à elle, le 14 juillet, seront sans doute particuliers aussi.
La guerre bientôt serait déclarée, Strasbourg devenait dangereux, les nouvelles étaient de plus en plus tristes. Mais la maison d'oncle Louis était grande, avec un très beau jardin.
Plus tard, lorsqu'Ernest sera remis, ils quitteront Colmar et s'installeront le temps que cette foutue guerre s'arrête, si tant est qu'elle s'arrêtera un jour, à Pfaffenheim.
Les enfants avaient emporté lors de cette retraite, une grande quantité de jouets, poupées, landaus, berceaux, dinette, tout ce qui fait l'enfance.
Alors ils jouaient, tous les trois, Maman tout juste huit ans, avec leur cousin Gérard, l'aîné de cette troupe.
Un de leurs jeux favoris consistait à sortir toutes leurs poupées, les berceaux, les landaux, la dinette, et de très consciencieusement installer tout cela dans le jardin. Les poupées assises, à côté des berceaux, en pique nique, prêts à prendre le thé, manger leurs gâteaux imaginaires. Cela prenait du temps, il fallait que tout soit parfait. Il faisait déjà très beau en ce début d'été 1939, et jouer dans le jardin aux fruitiers nombreux, pelouse entretenue, si grand que l'on pouvait croire qu'il n'avait pas de limites, était un vrai régal.
Une fois que tout était parfaitement organisé, Gérard sortait de la maison, descendait les marches en pierre, et hurlait EVACUATION, EVACUATION. Immédiatement, il fallait tout rassembler dans l'urgence, en vrac, jeter tout dans les berceaux, empoigner les landaus, et fuir fuir jusqu'au fond du jardin, dans une excitation jubilatoire.
Et tout recommençait, installer une à une les poupées, remettre en ordre les draps, border les couvertures, disposer la dinette, tout en bavardant en vraies petites mamans s'occupant de leur marmaille. Comme si la guerre n'existait pas. Jusqu'à ce que brusquement se remette à hurler leur cousin chéri, EVACUATION, EVACUATION et à nouveau l'effervescence pour tout rassembler et filer dans des hurlements de rire, poupées, dinettes dans les berceaux en vrac, jusqu'à l'autre bout du jardin.
Il fallait bien à un moment s'arrêter pour aller gouter les bonnes tartines recouvertes de confitures d'abricot que faisait tante Jeanne.
Le lendemain, les évacuations feraient de nouveau partie de ce monde imaginaire...
De la guerre Maman garde de très jolis souvenirs qu'elle me raconte lors de nos longues conversations téléphoniques. Très calmement confinés, mais profitant aussi de ce Paris sans voiture, aux arbres fleuris, ils font des petites balades d'une heure, leurs attestations bien remplies, les masques sur le visage, attendant que passe cette si curieuse période, hors du temps, qui réveille leur enfance bousculée.
Papa dit qu'il fêtera sans doute le 19 juin, ses 91 ans confiné, et Maman se dit que ses 90 ans à elle, le 14 juillet, seront sans doute particuliers aussi.
7 commentaires:
Merci, merci de partager ainsi les souvenirs de guerre de votre mère, son frère, sa soeur, leur cousin et comment ils jouaient ensemble dans le grand jardin en utilisant les mots de la période. Je trouve très touchante l'idée de votre mère vous racontant son enfance, nous avons le même âge et la mienne est morte depuis des années déjà.
Merci aussi de nous donner de bonnes nouvelles de vos parents qui vivent bien le confinement, je m'en réjouis avec vous. Et, si leurs anniversaires devaient être confinés, je suis sûre que vous trouverez un moyen, une façon, de leur montrer, exprimer, leur importance, votre amour.
Je pense retenir la date d'anniversaire de votre mère puisque c'est aussi celle de ma fille aînée.
Bonne journée.
Très beau récit, eux aussi ont eu une drôle d'enfance surtout dans cette région, mais ils en gardent quand même de bons souvenirs. J'espère que vous pourrez fêter leurs anniversaires. Bonne journée.
Odile
Je pense souvent à mes grands parents ces temps-ci, et j'aimerais pouvoir leur demander de me parler de la guerre, comme ça, eux aussi. Ca doit en effet être agréable de parler comme ça à tes parents, profite bien :)
Chantal, et votre fille croyait-elle aussi, comme ma mère, lorsqu'elle était petite, que tous le monde était en fête parce que c'était son anniversaire ?
Odile oui mes deux parents sont restés en Alsace durant toute la guerre, et c'est vrai que ce confinement leur réveil des souvenirs.
Dr CaSo, oui c'est très agréable et rassurant aussi, nous craignons tout de même qu'ils se fassent contaminer.
Chouette histoire que cette évacuation vécue à travers le jeu. Chouette, façon de parler. En temps troubles, les enfants trouvent souvent les ressources pour absorber et transformer la tragédie en jeu, en poésie, en humour.
Quel touchant et étonnant récit !
J'ai aimé le lire :)
Laurent, oui les enfants prennent la vie comme elle vient, tant qu'ils ne subissent pas de violence.
Cara, maman me raconte souvent des parcelles de sa vie de petite fille, celle là collait bien avec l'actualité :-)
Enregistrer un commentaire