lundi 10 février 2014

Réparer les vivants

Simon Limbres est mort au lever du jour, il avait 19 ans, adorait le surf, la mer, la vie. 

" Ce qu'est le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, depuis que sa cadence s'est accélérée à l'instant de la naissance quand d'autres coeurs au-dehors accéléraient de même, saluant l'évènement, ce qu'est ce coeur, ce qui l'a fait bondir, vomir, valser léger comme une plume ou peser comme un pierre, ce qui l'a étourdit, ce qui l'a fait fondre - l'amour ; ce qu'est le coeur de Simon Limbres, ce qu'il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d'un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l'écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d'un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme en décrire la dépense et l'effort, l'émotion qui précipite, l'énergie prodiguée pour se comprimer près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu'à cinq litres de sans, oui, seule cette ligne là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit là, nuit sans étoiles, alors qu'il gelait à pierre fendre sur l'estuaire et le pays de Caux, alors qu'un houle dans reflet roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d'un organe qui se repose, d'un muscle qui lentement se recharge - un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute - quand l'alarme d'un portable s'est déclenchée au pied d'un lit étroit, l'écho d'un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l'écran tactile les chiffres 05:50, et quand soudain tout s'est emballé. "

Dès la première phrase il n'est plus possible de lâcher ce récit écrit par Maylis de Kerangal. Simon a un père, une mère, une petite amie. Son cerveau est mort, et c'est tout ce qu'il va falloir d'amour pour amener ceux qui l'aimaient tant, à faire le don de ses organes, qui est raconté dans ce livre.
On y rencontre le médecin qui accueille Simon, la jeune infirmière qui fait ses premiers pas aux urgences, le coordonnateur, et d'autres encore, tous vont faire partie de cette histoire qui se déroule de 5h50 à 5h49 le lendemain, 24 heures de douleur et d'espoir.
L'écriture, magnifique, est comme ce coeur qui bat dans ce corps mort et qui semble encore si présent. 

S'il n'y a qu'un livre à lire cette année, c'est celui-là !

7 commentaires:

charlottine a dit…

Je l'ai noté dans mes projets de lecture et ton avis me conforte .

Mel a dit…

Je me doutais que tu allais le lire...

DoMi a dit…

Je ne crois pas que je pourrais lire cette histoire…

samantdi a dit…

J'ai pensé à toi en entendant parler de ce roman, et en effet, il est entré dans ta vie (il n'y a pas de hasard) ... Sans doute le lirai-je aussi car le sujet m'intéresse, mais je crains un peu le style de l'auteur, ces longues périodes incantatoires que je trouve lassantes, pour ma part.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Samantdi c'est la première phrase qui est une longue incantation. Le livre est vraiment beau, et moi qui suis aussi rétive au style incantatoire littéraire, j'ai trouvé cette écriture là extraordinairement vivante.

Dorémi loin de moi l'idée de forcer qui que ce soit à le lire.

Mel tu l'as lu ?

Charlottine :)

Mel a dit…

Pas encore. J'ai comme Samantdi une réticence concernant le style de l'auteur, mais j'aimerais quand même triompher de mon a priori pour ce roman-là.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Mel peut être... je n'ai pas eu de difficulté, bien au contraire, j'ai trouvé que ces phrases longues étiraient le temps de douleur et d'entrée dans le deuil.