mercredi 18 mai 2011

Puissant et misérable

Il gisait là, sur le bas côté, éventré, vomissant ses entrailles qui s'affolaient à chaque passage de voiture, le vent faisant vivre une dernière fois les souvenirs étalés. Un camping car éclaté, misérable promesse de vacances qui ne seraient plus.
Je me souviens du pincement au cœur alors que nous passions au ralenti, guidés par quelques gendarmes et pompiers, devant les vestiges de ceux qui devaient maintenant nous précéder dans des ambulances toutes sirènes hurlantes. L'intimité de leur vie, exposée sans pudeur, à notre voyeurisme forcé.

...

J'avais passé de longues heures à décrire, minutieusement, le plus justement possible pour que l'on me croit, la nuit que je venais de vivre. Le policier qui tapait lettre par lettre mon témoignage, levait parfois les yeux avec douceur.
Un moment, il y avait eu une sorte d'agitation sourde dans le couloir menant aux escaliers, mon violeur venait d'arriver. Alors, sans doute parce que l'on craignait que je ne le reconnaisse pas au tapissage, on m'avait demandé, accompagnée de deux policiers, de descendre les escaliers tandis que lui montait en salle d'interrogatoire. Nous nous étions croisés, lui misérable, moi mal à l'aise, sentant la compassion naître pour cet homme qui venait de détruire sa vie et fracasser la mienne.

...

Je ne sais si Dominique Strauss Kahn est côté victime ou côté agresseur, la vérité sera faite, je n'ai pas vraiment de doute. Mais lorsque je l'ai vu, hébété par les longues heures d'interrogatoire sortir débraillé, le manteau pendant sur l'épaule, je n'ai eu qu'un sentiment de pitié pour cet homme si puissant la veille, misérable et fracassé.

Certes s'il est coupable il devra être jugé, comme n'importe quel homme. Qu'il soit un des puissants de notre monde n'y change rien. Mais c'est à la justice de le faire, et non pas aux médias qui semble tant se repaîtrent de la bête abattue.
Je n'ai jamais aimé la curée pour qui que ce soit. Je déteste que l'on me force au voyeurisme.


Et merde ! Que l'on cesse aussi de dire que la gauche est morte !

19 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Un des textes les plus sages que j'ai lu sur le sujet. Il ne pouvait en être autrement venant de toi.

Hermione a dit…

La curée, c'est un mot que j'ai employé également. C'est vrai que personne ne mérite ça. Mais que ce soit toi qui le dises, ça donne une légitimité supplémentaire à cette opinion. Je ne suis pas sûre que j'aurais cette grandeur d'âme si j'étais à ta place, je t'admire pour ça !

marc a dit…

C'est en effet un texte troublant et émouvant.

marylène a dit…

Violence de toutes parts, merci pour ce billet juste et sage.
En voyant cet homme, j'ai pensé aux femmes tondues après la guerre... quoiqu'il ait fait, l'humilier ainsi ne grandit pas l'être humain

Axel a dit…

Je clique avec une grande prudence depuis ces derniers jours. Mais ici pas de crainte ni de mouvement de recul. Un billet plein de retenue et d'humanité. Ça fait vraiment du bien.

PascalR a dit…

Un ami faisait le rapprochement avec le procès Mickael Jackson et du déversement d'images qui inondaient les postes. Aux Etats Unis ça doit être dans la règle des choses d'exposer ainsi le châtiment par l'image.

Lce a dit…

tes mots sont justes Valérie, ce tapage médiatique ne sert aucune cause valable, il faut préserver le calme pour laisser faire la police et la justice, j'en ai la nausée de voir ces journalistes rayer le plancher avec leurs dents sous couvert "d'information" , ils n'arrivent même plus à cacher la bave qui leur coule de la bouche... amicale pensée pour ce que cela fait remonter en toi... je t'embrasse

chrisfons a dit…

C'est sûr que les journalistes ont trouvé un morceau de choix à se mettre sous la dent !! D'habitude ce genre d'affaire est vite étouffé dans la sphère des "grands", c'est étrange qu'on montre DSK isolé de la sorte...

Calyste a dit…

Cette affaire, cette curée, comme tu le dis si justement, a fait remonter en moi la mort de ma petite sœur, hydrocutée à onze ans alors que nous venions à peine d'arriver au lieu de nos premières vacances. Mes parents avaient décidé de ne prévenir ma grand-mère qu'une fois rentrés à Saint-Étienne, pour la ménager au maximum. Elle l'a appris par les journaux, au milieu d'un fatras de conneries dans l'article. Depuis, je garde les journalistes en très piètre estime.
Ce que tu as écrit aujourd'hui est bouleversant.

Fay a dit…

Moi aussi je redoute tout ce qui est écrit sur ce sujet. Ici en effet, les mots sont justes. Merci Valérie.

Valérie de Haute Savoie a dit…

J'ai toujours beaucoup de mal à répondre aux commentaires de mes billets "intime". Je vous remercie de venir me lire, j'aime beaucoup vous lire aussi.
J'avoue que je me pose beaucoup de questions sur mes sentiments. Comme le dit très justement une blogueuse que je suis "Sophil de l'eau" : http://www.sophiebellais.com/ - Une partie de mon cerveau attend avec impatience une vérité différente

Jipes a dit…

Un coup de gueule salutaire Valérie ! Hélas le mal est déjà fait quoi qu'il arrive coupable ou pas la Gauche en a pris un sale coup derrière la tête et 2012 se présente durement. Pour le reste on voit tellement de trucs incroyables (dans le mauvais sens du terme) que je ne sais plus quoi penser...

Tout comme toi je trouve que livrer un homme à la vindicte populaire avan même de savoir si il est coupable regrettable, apparemment il aurait pris les policiers de haut ce qui expliquerait qu'ils aient avertis les photographes de sa sortie

Anonyme a dit…

Bonjour
Un billet parfait et même au-delà .
Il mériterait d'être publié dans un grand journal. Comme l'étaient ceux d'Alexandre Vialatte
cordialement
RV

Valérie de Haute Savoie a dit…

Jipes es tu sûr que la gauche ne s'en relèvera pas ? DSK était-il le meilleur candidat de gauche ?

RV je mentirais en vous disant que votre commentaire ne m'a pas fait plaisir :)

Erin a dit…

Comme j'aimerais que tes mots fussent publiés plus largement...

Même si nous avons vécu le même traumatisme, moi je n'ai jamais eu le courage que tu as eu... je me suis tu(e). Alors dans mon esprit il restera à jamais puissant et moi misérable...

cultive ton jardin a dit…

Je trouve ton texte parfait, c'était tellement difficile de trouver un chemin juste entre c'est lui, c'est elle, la victime, le coupable...

Je crois que c'est à elle, malheureusement, que nous devrons bientôt penser. Elle a été très bien protégée jusque là, et mon estime pour le système étasunien remonte d'un cran. Mais un cabinet spécial a été choisi par les avocats de DSK pour tenter de disqualifier son témoignage.

Pour ce qui est du témoignage de Calyste... je me souviens d'un documentaire donnant la parole, longtemps après, aux "naufragés" de la Cordillière des Andes, qui avaient dû, pour survivre, manger la chair de leurs compagnons morts dans l'accident. Eux aussi avaient espéré en parler aux familles avec le respect et la pudeur nécessaire. Eux aussi avaient été effondrés en comprenant qu'ils le savaient déjà par la presse.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Erin, j'étais plus que soutenue par mon beau frère qui ne m'a pas lâcher, me conduisant, me ramenant, m'encourageant. Je ne sais pas si j'aurais eu la force à ce moment de le faire si je n'avais pas été seule. Mais je peux dire qu'il a sauvé mon avenir.

Cultive ton jardin, la presse a aussi, à mon égard, été très destructrice, citant mon nom complet dans l'article. Du coup, j'ai été bannie de mon emploi, toute victime que j'étais. Mais à l'époque on ne se faisait pas violer sans raison, on était forcément une salope :D

Mel a dit…

Tu as perdu ton boulot parce que tu avais été victime d'un viol ? C'est incroyable et scandaleux ! J'ose espérer que ça n'arriverait plus aujourd'hui et que toute personne dans la même situation aurait droit à de la compassion et de la considération.
Bravo à ton beau-frère pour son soutien en tout cas. Et je suis heureuse pour toi que ça ait sauvé ton avenir, même si j'ai cru comprendre qu'il t'a fallu parcourir un long chemin.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Mel, je me suis mal exprimée, lorsque je dis que j'ai été bannie, c'est que l'on a cessé de m'adresser la parole, comme une pestiférée. Mais de toute façon j'avais trouvé cet emploi dans l'urgence pour pouvoir payer l'avocat et il était évident que je n'y resterai que le temps d'amasser l'argent nécessaire. N'est pas DSK qui veut.