Longtemps après nous retrouvions encore des fils rouges accrochés négligemment autour des vannes des radiateurs. Rouges, moulinés, d'une dizaine de centimètres, frissonnants légèrement à notre passage.
C'était dans la grande salle de séjour, donnant sur le chemin, à l'ombre des sapins. Fenêtre ouverte, au loin parfois le beuglement d'une vache, les glouglous d'un dindon, il était assis là, sur le banc, coude sur la table, sérieux, ailleurs, il construisait ses anches.
Dans le verre reposaient les roseaux. Juste avant il avait coupé, un à un, même longueur, ces fils rouges que nous retrouverions après sa mort, comme un ultime adieu, et dont il entourerait, avec délicatesse, deux tronçons de roseaux taillés et grattés lentement, lentement, le regard presque flou.
L'image figée, ses cheveux blonds, légers, longs et bouclés, que le soleil faisait briller comme auréole. Il penchait la tête, sifflotant, de ses longs doigts de hautboïste il tricotait ses anches, et les posait l'une après l'autre, sur le velours vert de la petite boite recouverte de cuir.
La boîte pleine, il rangeait ses roseaux, son fil, ses instruments, un à un, dans une autre boîte en cuir, noire élimée, qui ne le quittait jamais. Puis il assemblait son hautbois, morceau par morceau, l'instrument se créait, à chaque fois, chaque jour. Il commençait ses gammes, non sans avoir choisi, longuement, en la tétant doucement, concentré, l'anche parfaite qu'il venait de créer.
Dans le rayon de soleil, éclairant le plancher, rasant le bouquet posé dans l'encadrement d'une fenêtre, il devenait hautbois, dansait dans le son qui naissait de ses lèvres, Cimarosa enchantait nos dimanches.
Cette nuit encore et encore, il est mort depuis vingt sept ans.
C'était dans la grande salle de séjour, donnant sur le chemin, à l'ombre des sapins. Fenêtre ouverte, au loin parfois le beuglement d'une vache, les glouglous d'un dindon, il était assis là, sur le banc, coude sur la table, sérieux, ailleurs, il construisait ses anches.
Dans le verre reposaient les roseaux. Juste avant il avait coupé, un à un, même longueur, ces fils rouges que nous retrouverions après sa mort, comme un ultime adieu, et dont il entourerait, avec délicatesse, deux tronçons de roseaux taillés et grattés lentement, lentement, le regard presque flou.
L'image figée, ses cheveux blonds, légers, longs et bouclés, que le soleil faisait briller comme auréole. Il penchait la tête, sifflotant, de ses longs doigts de hautboïste il tricotait ses anches, et les posait l'une après l'autre, sur le velours vert de la petite boite recouverte de cuir.
La boîte pleine, il rangeait ses roseaux, son fil, ses instruments, un à un, dans une autre boîte en cuir, noire élimée, qui ne le quittait jamais. Puis il assemblait son hautbois, morceau par morceau, l'instrument se créait, à chaque fois, chaque jour. Il commençait ses gammes, non sans avoir choisi, longuement, en la tétant doucement, concentré, l'anche parfaite qu'il venait de créer.
Dans le rayon de soleil, éclairant le plancher, rasant le bouquet posé dans l'encadrement d'une fenêtre, il devenait hautbois, dansait dans le son qui naissait de ses lèvres, Cimarosa enchantait nos dimanches.
Cette nuit encore et encore, il est mort depuis vingt sept ans.
16 commentaires:
Grâce à toi, nous le rencontrons, le découvrons un peu. Toi aussi, tu tresses des fils de mémoire.
Je t'embrasse.
Très émouvant et une utilisation du mouliné rouge que j'ignorais.
Ce que tu écris bien !
Je joue du hautbois... Mon grand père qui m'a appris à en jouer m'amenais en été, à Aix les Bains, sur les rives du lac ramasser des petits bouts de roseau qu'il tallait avec cette même passion... Tu as ravivé mes souvenirs tu vois :-)
Mais heureusement tes souvenirs restent. Grosses bises à toi.
C'est un bien bel hommage que tu lui rends ainsi !
Je vais téléphoner tout de suite à mon frère (qui joue du haubois lui aussi), tiens, pour lui rappeler que je l'aime...
Je t'embrasse et les coquines t'envoient des calins tout doux.
Un bien beau texte pour garder encore et toujours au présent la mémoire de cet être qui t'était manifestement très cher. Depuis que j'ai découvert tes notes périssables, j'ai lu des billets à cette date anniversaire, mais je n'ose pas commenter en général, je me sens trop maladroite. Se remet-on jamais de la perte de quelqu'un qu'on aimait ? Je suis persuadée que non. Mais peut-être est-ce bien ainsi, puisqu'à travers le souvenir, il est encore là.
Étrange émotion à la lecture de ce texte, qui reste intacte au deuxième passage. Les petites traces de la vie d'autrefois, vestiges égarés dans un coin et qui resurgissent un jour où l'on ne les attend pas, et tout le passé qui vous assaille, qui vous submerge.
Oh oui Mel, j'aimais mon frère, c'était l'aîné et nous étions très proches dans notre sensibilité. Il était aérien, j'étais (je suis toujours) les deux pieds dans la terre, il était introverti, je suis extravertie à outrance, nous étions très semblable pourtant. Et comme le dit Calyste, le passé parfois s'invite, aux dates anniversaires, mais aussi parfois au détour d'un solo de hautbois qui inévitablement me met les larmes aux yeux.
Ceux que l'on aime, qui meurent, s'effacent, Pablo, malgré tout de nos souvenirs comme l'impact d'un caillou sur un lac... c'est pour cela que j'aime replonger dans ma mémoire, y puiser un instant pour revivre un petit bout de notre ancienne vie ensemble, enfants. Que vous veniez les partager avec moi, Lancelot, les rends plus vivants, moins solitaires. Mon hommage à moi que j'aime à respecter chaque année, merci Jipes et Lanfeust de le trouver beau ;)
Et puis du coup j'apprends que Tili joue du hautbois :o)
Dr CaSo, on ne dit jamais assez aux autres qu'on les aime, il ne faut jamais s'en priver, même si l'on craint d'être guimauve !
Et pour le mouliné rouge Bricol-girl, la couleur lui était propre sans doute, j'ai vu des anches tricotées de toutes les couleurs :D
Tous les ans ta fidélité m'amène les larmes aux yeux. Et de plus tu suis de près par les dates notre amie Samantdi et ses mêmes échos sur la disparition d'un proche.
Je t'embrasse Valérie.
Ton texte est émouvant mais en même temps il n'est pas trop triste, j'ai l'impression que tu es habitée par ton frère finalement.
s'il était ton ancêtre j'aurais pu dire "heureux celui qui laisse un si beau souvenir à ses proches" mais malheureusement il n'était pas assez "ancien" pour cela... mais ton souvenir est si aérien lui aussi
Madeleine, chaque année, alors que je n'y pense pas constamment, la semaine de l'anniversaire de sa mort, je fais des cauchemar, je suis patraque, triste et brusquement je sais. C'est ancré dans ma mémoire.
J'ai les larmes aux yeux parfois, Hermione, mais la tristesse est passagère, je garde de ces 29 ans passés à côté de lui de très beaux souvenirs, d'autres plus douloureux lorsqu'il est entré dans sa secte et qu'il s'est éloigné.
Aérien il l'était,Lce, ce verseau si sensible. Il marchait comme s'il n'avait aucun contact avec la terre ferme.
Un petit bout de lui, chaque fois différent, que tu nous offres. Tu le rends vivant...
Merci FD
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