Elles habitaient dans l'appartement juste en dessous du nôtre, je prenais mon cartable, descendais un étage, sonnais... la porte s'ouvrait et une bouffée de vieux m'enveloppait... toujours !
Sans doute est-ce là que j'ai acquis cette capacité à mettre mon odorat au repos. Clic-clac, fermer l'arrière de mes narines.
Si j'avais pu, j'aurais également ordonné à ma vue de prendre des vacances. Elles sentaient la naphtaline, le rance, le pas aéré et vivaient dans une sorte de brocante où l'on n'aurait vendu que du moche, mais beaucoup beaucoup de moche.
Bonjour Valérie disait mademoiselle D'Zussy (on écrivait Zussy, mais nous prononcions je ne sais pourquoi D'zussy) - Parfois c'était la jeune mademoiselled'zussy, une jeune vieille avec son visage mou et son air niais, mais en général c'était la vieille mademoiselled'zussy plus sèche, plus ridée, le regard vif. C'était elle qui me faisait faire les devoirs, l'ancienne institutrice.
Elle me précédait, slalomant à travers le capharnaüm, jusqu'au secrétaire sur lequel elle me donnait ses cours. Je posais mes cahiers, mes livres, sortais ma trousse et pendant qu'elle taillait son crayon, sombrais dans l'habituelle torpeur qui me saisissait dès l'instant où il s'agissait de la chose scolaire.
C'est sûr, je devais être envoutée ou un truc comme ça ! J'avais beau essayer de secouer mon cerveau endormi, rien n'y faisait, dès que qui que ce soit tentait de m'éveiller à la chose scolaire, tous mes membres s'engourdissaient, une vibration bienfaisante m'invitait aux rêveries, et rien ne pouvait alors s'imprimer dans ma mémoire, j'étais loin si loin...
L'heure passait dans mon cocon. Sans doute devait-elle dire une phrase qui me sortait de ma léthargie, je m'ébrouais mentalement, pliais livres et cahiers, rangeais mes crayons, et tout en lui tendant la main reprenais vie. Guillerette je remontais l'escalier, l'esprit libre.
Un jour, alors que nous finissions ces fameux devoirs, elle me dit en souriant "Veux-tu que nous préparions un cadeau pour la fête des mères ?" et elle sortit d'un tiroir une merveille froufrouteuse, papier de soie rose, d'un kitch délicieux. Les yeux ronds, ébahie, je reposais mon sac, bien sûr que je voulais !
Alors, soir après soir, penchées sur notre ouvrage, délicatement froissions, découpions et collions, des roses aériennes. Le temps n'existait plus, l'odeur oubliée, le foutoir envolé, nous étions l'une et l'autre absorbées, confectionnant ensemble le plus beau cœur du monde sur lequel j'écrirais sans faute assurément, un poème d'amour à ma maman chérie !
Et de mes longues soirées, passées dans la pénombre, me restent ces instants, arrachés aux devoirs, illuminant un temps, le cauchemar répété !
Sans doute est-ce là que j'ai acquis cette capacité à mettre mon odorat au repos. Clic-clac, fermer l'arrière de mes narines.
Si j'avais pu, j'aurais également ordonné à ma vue de prendre des vacances. Elles sentaient la naphtaline, le rance, le pas aéré et vivaient dans une sorte de brocante où l'on n'aurait vendu que du moche, mais beaucoup beaucoup de moche.
Bonjour Valérie disait mademoiselle D'Zussy (on écrivait Zussy, mais nous prononcions je ne sais pourquoi D'zussy) - Parfois c'était la jeune mademoiselled'zussy, une jeune vieille avec son visage mou et son air niais, mais en général c'était la vieille mademoiselled'zussy plus sèche, plus ridée, le regard vif. C'était elle qui me faisait faire les devoirs, l'ancienne institutrice.
Elle me précédait, slalomant à travers le capharnaüm, jusqu'au secrétaire sur lequel elle me donnait ses cours. Je posais mes cahiers, mes livres, sortais ma trousse et pendant qu'elle taillait son crayon, sombrais dans l'habituelle torpeur qui me saisissait dès l'instant où il s'agissait de la chose scolaire.
C'est sûr, je devais être envoutée ou un truc comme ça ! J'avais beau essayer de secouer mon cerveau endormi, rien n'y faisait, dès que qui que ce soit tentait de m'éveiller à la chose scolaire, tous mes membres s'engourdissaient, une vibration bienfaisante m'invitait aux rêveries, et rien ne pouvait alors s'imprimer dans ma mémoire, j'étais loin si loin...
L'heure passait dans mon cocon. Sans doute devait-elle dire une phrase qui me sortait de ma léthargie, je m'ébrouais mentalement, pliais livres et cahiers, rangeais mes crayons, et tout en lui tendant la main reprenais vie. Guillerette je remontais l'escalier, l'esprit libre.
Un jour, alors que nous finissions ces fameux devoirs, elle me dit en souriant "Veux-tu que nous préparions un cadeau pour la fête des mères ?" et elle sortit d'un tiroir une merveille froufrouteuse, papier de soie rose, d'un kitch délicieux. Les yeux ronds, ébahie, je reposais mon sac, bien sûr que je voulais !
Alors, soir après soir, penchées sur notre ouvrage, délicatement froissions, découpions et collions, des roses aériennes. Le temps n'existait plus, l'odeur oubliée, le foutoir envolé, nous étions l'une et l'autre absorbées, confectionnant ensemble le plus beau cœur du monde sur lequel j'écrirais sans faute assurément, un poème d'amour à ma maman chérie !
Et de mes longues soirées, passées dans la pénombre, me restent ces instants, arrachés aux devoirs, illuminant un temps, le cauchemar répété !
13 commentaires:
Eh bien maintenant que tu en es arrivée au 31, je peux t'adresser mes sacrées félicitations pour ce mois se souvenirs. Quel boulot ça a dû être ! Chapeau Valérie.
Oh merci Olivier, j'en ressors, il est vrai, essorée :D
Bravo, bravo, j'ai passé un mois enchanteur .
Une rêveuse tu étais donc une rêveuse ah comme je te comprends les devoirs ont toujours été une corvée pour moi. Combien de rédactions bâclées le matin même dans l'autobus en route vers le lycée ;o)
Tu te rappelles de la réaction de ta Maman lors de la remise de ce cadeau ?
Oui, félicitations ! J'espère que tu n'es pas allée écrire ces 31 billets chez Mlle et Mlle D'Zussy – et surtout que tu n'a pas pris leur écriture comme une corvée : en tout cas, pour tes lecteurs, ça a été un délice !
Oh oui, merci pour cette belle et douce transition de l'hiver au printemps.
Et cette odeur de vieux... c'est exactement ça. Et le manque de lumière.... Je me demande si elle était triste, cette vie confinée.
Et la note gaie qui fait irruption dans ta vie et la leur, c'est une belle façon de terminer le mois ! Décidément, tu sais vraiment bien raconter ces instants de vie. Tu te bases sur tes souvenirs, ton journal ?
Merci surtout à vous qui m'avez encouragée alors que bien souvent je m'endormais en me demandant de quoi parlerais-je le lendemain !
Mel je crois que cela a surtout fait plaisir... à moi ! Je trouvais ce coeur absolument extraordinairement beau :)
Pou mes souvenirs, je ne me suis servie que de ma mémoire... pratiquement tous ces souvenirs sont antérieurs à mon journal, mais il est vrai que j'ai une mémoire très vivante remplie d'odeurs et de couleurs.
Pablo, pas une corvée non, jamais, mais source d'angoisse de ne pas arriver au bout :)
Jipes, je suis effectivement une grande rêveuse dynamique ! Et j'ai toujours eu une véritable phobie scolaire.
Claudie cela me fait tellement plaisir !
bravo, félicitations pour avoir tenu la distance, quel joli mois de mars !
Bravo, en te lisant plusieurs fois dans le mois je me suis demandé si j'aurais été capable, et vraiment je ne crois pas.
Merci de ces moments enchanteurs, incursions dans tes souvenirs si personnels, petits tableux dépeints avec délice, tu peux être fière de toi!
Et la prochaine note, alors, c'est quand? ;))
Bravo, et surtout merci pour ces petits rendez vous matinals avec ta mémoire, et qui vont bien me manquer......
Sandrine je ne dirais jamais assez merci à tous ceux qui m'ont soutenue en venant me lire chaque matin de ce mois de mars :)
Floh, mais si tu aurais pu, crois-moi, je ne pensais pas arriver au bout :)
Lili, dans la rubrique bribes, ce sont pleins de souvenirs épars que j'égrène toute l'année, il y aura donc encore souvent des petits morceaux de ma vie ;)
Bravo, bien sûr, mais en restera-t-il encore pour l'an prochain ?
Plein de bises à toi
Pas forcément des souvenirs d'enfance mais des souvenirs il y en a un paquet :)
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