dimanche 1 juin 2008

virginité

La maison de Pascale était située tout au bout d'une impasse, tout en haut du Rebberg, enfouie dans les arbres, cachée par une palissade en bois menaçant à certains endroits de s'effondrer. Passer le portail, elle s'offrait, toutes portes et fenêtres ouvertes. C'était la maison du bonheur, sentant le miel, le levain, les confitures. Sa maman, sortait sur le perron, nous accueillant en se sèchant les mains sur son tablier invariablement noué à la taille, un sourire doux et aimant qu'elle posait sur tous les visiteurs. Son mari, le papa de Pascale, était mort il y a longtemps, écrasé par son tracteur qui s'était retourné sur lui. Elle restait veuve, mère de douze très beaux enfants.
J'adorais aller chez elle, je n'avais pas le droit de "fréquenter" Pascale, elle ne plaisait pas à mes parents. J'y allais tout de même, j'étais si heureuse dans cette maison où aucun jugement n'était émis sur quiconque.

Après avoir grimpé la côte, nous arrivions transpirantes et assoiffées, jetant nos gilets, manteaux, sacs et tout ce qui nous encombrait sur la grande table de la cuisine. Il y avait, posé à côté de l'évier, une carafe simple en verre, large et remplie toujours de citronnade. On se coupait une grosse tranche de pain que l'on recouvrait de beurre en motte et du miel produit par la ruche du jardin. Ensuite nous montions dans la chambre s'il pleuvait, ou bien l'on sortait dans le jardin en friche bronzer en nous racontant nos histoires de coeur. On ne faisait rien de plus que ce que font toutes les adolescentes depuis la nuit des temps, imaginer le monde, s'inventer un avenir, rêver du prince charmant, buvant de la citronnade et pataugeant dans la petite marre du fond du jardin. A tour de rôle nous nous passions le moulin à grain et tout en nous racontant l'une l'autre nos romans, nous moulions le blé pour faire de la farine.
Tout cela je ne pouvais le raconter en rentrant, je n'avais pas le droit d'aller chez Pascale, officiellement je n'y allais pas, je ne pouvais donc rien raconter de ces moments si anodins, si plein d'une vie paisible.

Un jour d'été nous étions montées après l'école, les cerisiers du jardin croulaient sous les fruits et nous étions mises à contribution pour la récolte avant le grand jour des confitures. Il faisait chaud, nous avions enlevé nos spartiates et grimpées sur les échelles nous remplissions nos paniers tout en bavardant. Un des frères de Pascale nous arrosait de temps en temps avec le tuyau d'arrosage, nous poussions de grands cris, c'était délicieux.
Tout à coup j'ai glissé, je suis tombée de l'échelle, mais de telle sorte qu'un des montants de l'échelle m'a déchiré l'entre jambe. Je saignais abondamment et ma première pensée à été "mon dieu comment vais-je pouvoir cacher que j'étais chez Pascale". La maman de Pascale était désolée, ne savait pas comment soigner cette hémorragie. Je suis restée sans bouger un long moment, le sang s'est tarit, quelqu'un m'a raccompagné à la maison pour que je n'ai pas à marcher. En rentrant j'ai pris des serviettes hygiéniques, et mesuré chaque pas, chaque geste, priant pour que le saignement stoppe. Vers sept heures papa est venu me demander de préparer le repas, maman était à Paris, c'était mon tour de faire le diner, au menu il y avait une quiche lorraine. Je suis allée à la cuisine lentement, j'ai ouvert le réfrigérateur, j'ai sorti la pâte à tarte, posé le bloc sur la planche, pris le rouleau à pâtisserie et j'ai commencé à abaisser la pâte. A ce moment papa est rentré à la cuisine, il a dit "oh Valérie, je crois que tu as tes règles" à mes pieds il y avait une petite flaque de sang, l'effort pour abaisser la pâte avait rouvert la plaie... alors j'ai dû avouer... je saignais à mourir.

Ensuite nous sommes allés en urgence à l'hôpital, je suis entrée au bloc presqu'aussitôt. Je me souviens que mon père était là, en blouse blanche, je me suis endormie en le regardant, il était impassible.

Le lendemain une aide soignante est entrée et m'a demandé d'un air mauvais quand j'avais accouché, j'avais à peine seize ans, j'étais vierge. Du moins la veille l'étais-je encore !

Je venais de perdre mon pucelage... avec une échelle.

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle singulière histoire, à la fois troublante, touchante et cocasse.

LiliLajeunebergere a dit…

triste manière de grandir d'un coup...

Anonyme a dit…

Il t'en est arrivées des histoires, c'est fou! A côté de ça, ma vie est si banale...

Est-ce que tu t'es bien fait gronder le lendemain? J'espère que tu t'es vite remise de ce facheux accident!

Anonyme a dit…

Comme quoi... une femme qui n'arrive pas vierge au mariage n'a pas toujours forcément 'fauté'.

Qu'on se le dise...

Anonyme a dit…

C'est violent dis donc.
Ces circonstances où un enfant souffre physiquement ou moralement et qu'il pense ne pas être en mesure d'en parler sont des moments toujours difficiles. Les parents en sont souvent responsables lorsqu'ils posent des interdits qui confinent quelquefois au ridicule.

Anonyme a dit…

Quel mal peuvent faire les interdictions et les non dits. Quelle violence dans les coeurs et dans les souvenirs ils engendrent.

Anonyme a dit…

As-tu pu retourner chez Pascale par la suite ?

Anonyme a dit…

Quel violence dis moi ca a dû etre quand même traumatisant une telle épreuve ? En tous cas heureusement tout c'est bien terminé ! C'est curieux les préjugés des parents envers nos amis quand même !

Erin a dit…

Pas banal ta façon de perdre ta virginité... même si c'était un moment fort difficile (super le commentaire de l'infirmière !), je la préfère à la mienne...

C'est drôle, mais ce week-end en entendant ce jugement en faveur d'un mari... je disais justement à mon compagnon que l'on pouvait ne plus être vierge sans pour autant avoir eu des relations sexuelles... ou des consentis...

J'aime toujours autant te lire... et j'ai si peu de temps... ma tête est trop pleine en ce moment...

J'te bise... comme me disait une québécoise...

Anonyme a dit…

Oula ! Cela me fait mal pour toi. Tu es vraiment courageuse d'être rentrée chez toi sans histoire...
Ton père a dû avoir peur quand même pour toi je pense...

Je suis un peu sidérée par la réflexion de l'infirmière, essayant de te culpabiliser. C'était l'époque où les femmes avortaient en cachette, et se retrouvaient souvent à l'hôpital, à la merci de certains sadiques...

Valérie de Haute Savoie a dit…

Eh oui Erin et Lancelot, ce foutu pucelage si cher à certain, est parfois bien fragile :)
Fauvette, c'est exactement ça, j'étais une traînée pour l'aide soignante et du coup elle m'a fait me lever de force pour bien me faire sentir ma faute... je suis illico tombée dans les pommes ;)
Béatrice, ce souvenir n'est plus douloureux depuis longtemps heureusement :)
Le seul traumatisme que j'ai gardé longtemps (très longtemps même) était que je croyais être du coup anormalement constituée puisqu'il avait fallu recoudre cet endroit secret :D

Anonyme a dit…

Un jeu alors ?
Attrapez le livre le plus proche.
Ouvrez-le page 123.
Trouvez la cinquième phrase.
Recopiez les trois phrases suivantes.
Et tagguez 5 personnes à votre tour.

Anonyme a dit…

Mince !!! c'est drôle, ou pas, car lié à un évènement d'actualité, mais ton post que je lis immédiatement après les comm de ce post, me fait tout drôle !!! (attends, je mets une adresse :http://www.haloscan.com/comments/windowinlebanon/6162148247026603578/)

Anonyme a dit…

L'qdresse est entière, si tu la copies.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Zélie, c'est une bonne chose que la jeune femme soit débarrassée d'un bonhomme ayant des idées aussi archaïques. Quid de sa propre virginité ? Pour moi c'est un bourrin Mais cette histoire me dérange énormément, Eolas en a fait un billet qui ne me convainc pas (il voit cela d'un côté strictement juridique bien sûr) mais cela m'insupporte cette obsession qu'ont certains pour ce tout petit bout de chair. Bon je m'arrête parce que là je sens que je vais m'énerver ;)