vendredi 26 octobre 2007

album

J'ai, dans ma mémoire, une sorte d'album photos d'instants figés. Des photographies prises sur le vif, par forcément importantes mais figées à jamais et qui ressurgissent sans prévenir.
J'ai également des petits films, mais ceux-là nécessitent de ma part, pour qu'ils soient visionnables dans ma mémoire, un minimum de recherche avant d'appuyer sur "on".

Une des plus anciennes photos est de dominante jaune vif. C'est un rideau de coton lourd, jaune éclatant dont les plis sont légèrement gonflés par un probable vent. En silhouettes on devine des arbres longilignes, sans doute des peupliers. Sur la gauche on entrevoit le ciel. La photo est prise de mon lit, certainement au réveil d'une sieste. Quel âge avais-je, deux trois ans ?
De la même époque, dans le même appartement, une petite table noire et blanche, posée sur le parquet. Encore une journée ensoleillée, mais les rideaux sont légers, en voile blanc, pas de vent. Un meuble de coin, bois ciré, un bouquet et une lampe éteinte. Aucun bruit, personne. La photo est prise à hauteur de la table. Des instants calmes, sereins.

Ce matin, une photo s'impose sans raison. A gauche des bouteilles en pack posés les uns sur les autres. Des murs de bouteilles. Je pousse un caddie, je vais quitter le rayon et en face de moi une ancienne collègue. Cette photo est prise juste avant que nous nous reconnaissions. Le petit film "enregistré" est la suite de cette future rencontre. J'avais accouché depuis quelques mois, je n'avais pas vu Eliane depuis et c'est tout naturellement et souriante qu'elle venait prendre des nouvelles de ce bébé tout neuf. J'étais depuis la naissance de G. dans une fatigue constante, souvent un peu ailleurs, vivant au jour le jour. Mais là, tranquillement, je faisais mes courses, toute occupée à planifier la semaine à venir et ne rien oublier pour que la maison tourne à peu près normalement, avec ou sans moi. Elle s'approche heureuse de me voir, vraiment heureuse, un grand sourire illuminant son visage. Elle s'exclame "Valérie ! Comment vas-tu, comment va ton bébé ?" Et là, la pauvre, elle se retrouve face à un raz de larmes. Je ne contiens plus rien, tout s'arrête autour de moi, on me regarde atterré, Eliane ne comprend pas. Plusieurs minutes me sont nécessaires pour pouvoir reprendre le contrôle, la vie autour lentement redémarre. Je lui explique, nous bavardons un peu et nous repartons chacune de notre côté.

Ces photos engrangées et en général banales, cachent souvent des moments intenses, pas forcément douloureux. La photo d'avant cet effondrement, ne peut en rien présumer de ce qui suit, et même si je sais, elle reste un "instant neutre", l'instant où je fais des courses et ou rien d'autre n'entre en ligne de compte.

Notre mémoire se fabrique ses archives faites d'instants, de sons, d'odeurs. Est-ce ce fouillis qui surgit lors de notre mort ?

8 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est extrêmement juste et bien dit. J'aime beaucoup l'idée des photos et des films en mémoire puis cet effondrement sur un mot dans un lieu banal et sur une question banale. Bonne journée et A bientôt.

Anonyme a dit…

Ce texte que tu as écris ici je le couvais en moi, obsédée et tourmentée que je suis, par la mémoire ,le passé et tout ce que nous engrangeons dans le fouillis de nos esprits . Merci pour cette si douce et réconfortante résonnance.Les souvenirs sont des trésors qui nous construivent , bon an mal an, vaille que vaille, Ils sont nos ressources et nos forces.à bientôt

Anonyme a dit…

Suite: ton billet m'a inspiré . J'ai emprunté tes premiers mots pour me lancer en espérant que tu ne m'en voudra pas . Bon week end. Chicorée

Valérie de Haute Savoie a dit…

Chicorée, je lis à l'instant ton message, j'avais déjà fait un tour sur ton blog :)
Bien au contraire, je suis contente d'avoir amorcé un de tes billets.
Marc, sûre que tu as toi une sacrée galerie de photos en mémoire à lire tes billets toujours très sensibles.

antagonisme a dit…

Très beau texte, parfaitement exact psychologiquement. Il y a beaucoup à dire sur ce thème.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Merci beaucoup Antagonisme.

Cleanettte a dit…

Je suis enchanté d'être tombé grace à Chicorée sur cet autre exemple de mémoire, moi qui justement m'interrogeais récemment sur ma mémoire et celle des autres.

Anonyme a dit…

Je ne sais pas ce qui se passe au moment de la mort..Je pense que ce fouillis comme tu dis surgit à chaque fois que nous mourrons (un ou deux"r"?)à quelque chose, il doit donc nous tenir compagnie tout le temps comme un ami fidèle et discret qui vient se rappeler à nous à certains moments bien précis de notre existence. Proust, c'était la madeleine, moi ce serait plutôt le tambour de La Strada:"et voici le grand Zampano..." Noël d'Aix, ami de Frédé