Je me suis réveillée un peu avant sept heures, j'ai saisi mon téléphone et j'ai lu le message reçu à trois heures quarante quatre de ma soeur "Papa ne respire plus".
J'ai dévalé l'échelle de la mezzanine, mis en route la bouilloire, pris ma douche, lavé mes cheveux ; puisqu'il était mort nous entrions dans un espace temps que je ne maîtriserai plus, de quoi seront faits mes prochains jours, autant être propre... de toute façon il était mort.
Vite avaler un café noir, sauter dans mes vêtements, je suis partie vers Cochin en marchant vite, très vite, retrouver mon père... mort... était-ce possible ?
Mais, s'il s'était réveillé nous aurions eu un autre message non ?
En marchant dans les rues, croisant les parisiens pressés, je mesurais combien chacun peut vivre un drame tout en n'en laissant rien paraître, prendre la rue St Jacques, passer devant l'institut des sourds muets puis le Val de Grace, traverser le boulevard du Port Royal, passer le porche, regarder le ciel et se dire que peut être était-il juste là, au-dessus. Ma fille apprenant la mort de papa m'écrira "s'il y a quelque chose après, il doit passer un moment exceptionnel. Je l'imagine analyser toute cette nouveauté, ce champs de nouvelles infos, d'expériences. Une nouvelle aventure commence sûrement pour lui."
En entrant dans la chambre, papa est allongé, comme hier, comme avant-hier, la bouche légèrement entre ouverte. Maman assise sur le lit d'appoint, ma soeur au pied du lit. Nous nous embrassons silencieuses, je m'approche de celui qui depuis ma naissance fait partie de ma vie et qui vient de la quitter. Il est beau, le visage serein, tendrement je l'embrasse, lui chuchote merci d'avoir été mon papa.
Ensuite mes frères arriveront, et plus tard encore le médecin venu constater le décès. Un interne adorable discutera longuement avec maman, répondra à toutes ses questions, je commence à assembler ce qui a fait sa vie dans cette chambre, ses vêtements de rechange, ses affaires de toilettes, les compléments alimentaires, les crèmes pour adoucir son corps qui tentaient encore un peu de lui dire notre amour pour lui.
Je console mon petit frère qui s'effondre de douleur, nous laissons maman un peu seule avec papa, en allant dans le couloir, qu'elle puisse lui dire au revoir.
Et puis deux hommes silencieux viennent le chercher, maman repart en taxi avec mon petit frère et tous les sacs. J'irai encore le voir à la morgue avec mon grand frère et nous rentrons à pied, sous le soleil.
Le soir maman nous invitera tous dans le restaurant où ils avaient coutume d'aller. Nous y avions célébré l'anniversaire de papa et fêté nos rares venues à Paris. Papa est là, autour et à l'intérieur de chacun de nous et cela fait du bien de parler de lui, goûter les plats qu'il aimait particulièrement, nous retrouver ensemble encore un peu.
En Novembre ils y avaient fêté leurs 72 ans de mariage, s'aimant encore et encore.
5 commentaires:
C'est vrai qu'on ne peut pas soupçonner les secrets que portent ceux que nous croisons. Je me souviens de l'impression que je ressentais lorsque j'étais enceinte et que cela ne se voyait pas. Je me disais que les gens ne se doutaient pas de l'incroyable et merveilleux secret que je cachais en moi !
Je suis si désolée pour vous tous, et en même temps si reconnaissante que vous ayez tous pu être avec lui jusqu'à la fin. Quel cadeau merveilleux pour lui et pour vous! Je t'embrasse fort.
Ah oui, ce moment où l'on est encore seule à le savoir, et où tout paraît plus ensoleillé 🩷
D'une part la chance d'avoir pu l'accompagner jusqu'au bout et d'autre part, qu'il soit rester jusqu'à la fin de sa vie, présent et acteur de cette vie. Je pense souvent à toi et à ta maman que j'avais rencontrée à Morges 💔
Valérie, merci pour ces beaux billets si affectueux et humains. Ce sont des moments inoubliables et uniques. Je t’embrasse très amicalement.
Anita
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