mardi 10 juin 2025

18 janvier - 4

J'avais quitté papa la veille triste mais sans réelle angoisse. Je suis arrivée un peu avant 14 heures. Il était gisant, immobile dans son lit, seuls les yeux semblaient en vie. Avec un demi sourire il m'a dit "je crois que c'est la fin..." Il ne pouvait plus bouger ses membres, rien de rien, allongé, résigné, seul dans cette chambre isolée au fond du couloir. 

J'ai cherché dans le service le médecin évidemment invisible, les aides-soignantes et les infirmières courant d'une chambre à l'autre. Impossible de savoir ce qu'il s'était passé entre hier soir et là, début de l'après-midi. Au bout d'un long moment, enfin, le médecin est arrivé, un peu affolé par ce tableau clinique qu'il ne maitrisait pas (mais a-t-il maitrisé un seul instant la situation ?). Papa manquait de sodium, il buvait trop me dit-il et il fallait stopper presque tout apport hydrique, pauvre papa. C'était encore la seule chose qu'il arrivait à avaler, à peine deux verres d'eau par jour, de la soupe, si peu, le reste sans saveur et mouliné le changeait des bons plats que maman lui avait fait tout au long de sa vie de couple et ne passait pas. 

J'étais encore pleine d'espoir, le diagnostic de manque de sodium me convenait, j'ai tenté de le rassurer , d'autant plus qu'au fur et à mesure de l'après-midi il retrouva petit à petit une certaine mobilité. 
"Tu es gentille de vouloir me remonter le moral, mais tu sais je n'ai pas peur de mourir, cela ne m'angoisse pas."

Ma soeur se démenait pour faire transférer papa à l'hôpital Cochin, pendant ce temps, ce foutu docteur de Vitry s'obstinait à vouloir faire des examens pas essentiels, mais si douloureux.

Tout de même, malgré cette incompétence, papa restait très alerte intellectuellement. Nous parlions de l'actualité qu'il tentait de suivre, s'intéressait à l'offensive de l'IA et s'amusait des perspectives que cela ouvrait. En goûtant la soupe qu'il trouva fort bonne, il posa la cuillère, et me dit "j'imagine qu'ils ont dû consulter une IA qui a donné la meilleure recette qui plairait au maximum de malade." et il a rit de bon coeur. 

Il espérait follement que ce cauchemar se termine.

Malheureusement, ce soir là, il avait été décidé alors que le personnel était déjà plus que restreint, de faire passer un Scan du rachis pour voir si la chute qu'il avait faite la nuit précédente, n'avait pas dégradé son état. Oui papa chutait, les nuits, pour aller aux toilettes, seul, puisque personne jamais ne répondait à ses appels. Me parlant de la personne qui faisait les nuits dans ce service, il me dira qu'il n'imaginait pas que l'on puisse être si gratuitement méchant.

Un seul aide-soignant pour descendre le lit au scanner, cognant dans presque chaque angle de mur ce lit trop grand pour le déplacement. Au scanner une seule manipulatrice, à deux ils ont transféré mon père chéri, du lit au plateau de scan avec un drap. Entendre hurler de douleur cet homme qui ne s'était jamais plaint de sa vie sera gravé à jamais dans mon coeur. 

Nous sommes remontés dans sa chambre, attendant de savoir si une chambre ailleurs se libèrerait, pour qu'enfin papa soit traité correctement. Mais à vingt trois heures, l'espoir était retombé. Papa s'était endormi, je me préparais à rentrer lorsqu'il s'est réveillé, affolé de passer encore une nuit avec l'infecte garde connue pour sa méchanceté. 

Je ne savais pas alors que j'aurais eu le droit de dormir dans sa chambre. Partout il était noté que l'on devait impérativement quitter le service à 18h30, exceptionnellement ce soir là j'avais eu droit à une petite rallonge. 
Hélas on ne peut pas remonter le temps.


4 commentaires:

Hermione a dit…

Hélas, on ne peut pas remonter le temps. Moi non plus je ne savais pas que j'aurais pu passer la nuit là, ou peut-être que je n'ai pas voulu le comprendre. J'avais prévu de prendre ma journée du lendemain pour rester avec elle toute la journée. Mais le téléphone a sonné tôt le matin...
Ca me poursuit encore, cette culpabilité d'avoir laissé ma mère mourir seule alors que j'aurais pu être là.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Comme je te comprends 💔

Anonyme a dit…

Comme je vous comprends moi aussi toutes les deux, j'ai vécu des moments durs avec mes deux parents, ma mère n'avait que 69 ans, mon père 75. Mais une infirmière de nuit méchante avec des gens qui vont mourir, ça dépasse l'entendement ! Christine

Valérie de Haute Savoie a dit…

Et pourtant mon père l'a presque supplier d'être moins violente, mais cela a semble t-il exacerbé son agressivité. Même lorsque maman a passé la nuit avec lui, elle a fait comme si papa était un objet que l'on pouvait manipuler sans aucune douceur.