dimanche 17 janvier 2016

le cinéma porno

Longtemps j'ai enchaîné les boulots alimentaires, pas d'études, pas de diplômes, j'allais de place en place, un jour serveuse, un jour femme de ménage, un jour ouvreuse, qu'importe, je payais mon loyer, je m'amusais avec mes potes, je m'achetais des fringues, souvent aux puces, que je retaillais, transformais, je virevoltais et l'avenir n'existait pas.

Une copine m'avait trouvé une place dans un cinéma du quartier, moitié nanars, moitié pornos. Nous étions quatre, le projectionniste, la caissière et nous deux, les ouvreuses, munies de nos lampes de poche. Myriam n'aimait pas placer les clients du porno, je prenais alors le job, armée de ma lampe je précédais celui qui, la tête baissée, s'était glissé dans l'entrée, avait payé en espèces sa place et me suivait honteusement. J'avançais la tête haute, poussais la porte, balayais la salle à la recherche d'une place libre "et seul s'il vous plait" chuchotait-il.
Il se glissait dans la rangée et me laissait quelques pièces qui augmentaient confortablement mon salaire.

Parfois je jetais un oeil sur l'écran, les scènes de fellation se succédaient, parfois plusieurs corps s'agitaient, des petits morceaux aux mauvaises couleurs, films vite tournés, pas de scénario, je ressortais sans que l'image ne se soit imprimée et retrouvais Myriam avec qui nous reprenions nos délires sans une pensée pour ceux qui finissaient de se branler avant que je ne revienne placer un nouvel anonyme.

Avec le recul, je réalise qu'alors, je n'imaginais pas un instant combien ma lampe de poche éclairant furtivement ces hommes assis dans le noir, pouvait les déranger. J'étais d'une naïveté incommensurable. Ils venaient certes voir un film porno, mais de là à penser qu'ils s'envoyaient en l'air, l'idée ne m'avait jamais effleurée.

Contrairement aux autres salles, celle-ci fonctionnait en continu, le film tournait en boucle et les spectateurs sortaient par la porte arrière, une fois leur affaire terminée. Nous ne nettoyions la salle qu'en toute fin de journée, lorsque le cinéma fermait.
Puisque j'étais celle dévolue en général à cette salle, j'étais aussi chargée du nettoyage et ramassais une quantité de mouchoirs, de monnaie, de bouteilles d'alcool à moitié vide. Je faisais cela mécaniquement, sans me poser de questions, ces gens là visiblement avaient tous le rhume.

Il m'arrivait aussi parfois de rencontrer à l'extérieur un habitué, en famille. Son regard se figeait, suppliant pour que je reste coite. La fois d'après le pourboire était augmenté généreusement, sans un mot, transparent.

Je n'avais aucun jugement, je m'en foutais royalement, qu'importe ce qu'ils cherchaient. Je faisais mon boulot et le soir je filais voir dans les cinémas d'art et essai, des films qui transportaient mon âme dans des contrées bien plus poétiques.

déjà lu   et  ma vie de cinéma


7 commentaires:

Ditom a dit…

J'aime beaucoup l'histoire du rhume ;-) C'est mignon!

Gilsoub a dit…

Je me rappelle de la petite salle d'Art et d'essai où l'on allait souvent gamin le soir il passait aussi des films porno, c'est ce qui permettait à la salle de vivre. Quand la loi à changé interdisant de fait à ce type de salle de passer ce genre de film, un an et demi après la salle fermait...

Mel a dit…

Eh bien, on peut dire que tu as eu des expériences très diverses, dans tous les cas tu étais confrontée à l'humain, non ? C'est toujours le cas aujourd'hui, en fait. Tu vois les gens sous plein d'angles différents, pas souvent les plus flatteurs, non ?

Julie Boittiaux a dit…

Rahn merci. Le coup du rhume m'a bien fait rire.
Et surtout pas de jugement ce que je trouve très sain.
Merci pour ce cadeau.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Ditom ce qui est étonnant c'est que j'étais très délurée, n'avais peur de rien, mais d'une naïveté incroyable :)

Gilsoub, je ne savait pas du tout qu'il y avait eu cette loi. Nos cinémas d'art et d'essai vivaient à l'époque très bien, et les pornos apparemment aussi :D

Mel, oui des expériences très rigolotes souvent.

Julie, tu vois, je suis ravie dès que l'on me trouve une idée de billet.

Calyste a dit…

Aujourd'hui, avec Internet, tu crèverais de faim...

Valérie de Haute Savoie a dit…

Calyste, mais y'a même plus de salle pour ça non ? et crever de faim me ferait un peu maigrir :D