jeudi 9 janvier 2014

si loin, si proche

C'était un samedi, glacial, étais-je déjà réveillée à cette heure là ? Enroulée dans la couette, je dormais peut être,  loin du tumulte qui s'annonçait là bas, dans l'univers blanc et aseptisé qui nous attendait, je finissais ma nuit, j'allais bientôt me lever pour préparer le petit déjeuner de C.

Là bas on s'activait, la liste des greffés en attente compulsée.

Et puis je m'étais levée, la maison encore endormie, pieds nus j'étais allée faire pipi, j'avais sans doute mis la cafetière en route, passé un gant de toilette froid sur mon visage. L'éternité tranquille, entrée dans la chambre calme, j'avais regardé ma petite fille que j'allais réveiller, un instant, souffle du dormeur paisible, loin très loin de la terreur qu'elle vivrait tout à l'heure. Ma main caressante lui avait fait ouvrir les yeux, papillonnant, l'heure de se lever pour aller à l'école.

Dans la chambre à côté dormait G., nous chuchotions toujours, pour ne pas réveiller celui qui hier au soir avait fait un cauchemar si effrayant qu'il en avait hurlé de terreur.

Et puis nous étions parties, toutes les deux, seules dans le brouillard gelé, elle sautillant, moi regardant sans le savoir ce jour naissant qui resterait éternellement gravé dans nos mémoires.

Ensuite j'avais sans doute empoigné quelques sacs vides, pris la voiture grise, filé vers le supermarché pour faire le plein de yaourts, céréales, fruits et légumes. Et j'étais rentrée, chargée comme une mule, j'avais monté l'escalier, râlé de la porte fermée, sonné, et...

JP avait ouvert la porte, blême. Sur le lit encore défait, G. faisait des galipettes dans sa grenouillère rouge, et d'un coup le sol s'était dérobé, une seconde, juste une seconde, mais si longue.

Il y a vingt et un an que G. a été greffé, vingt et un an qu'en Espagne des parents ont perdu leur enfant.


8 commentaires:

ddc a dit…

Je lève mon verre (d'eau) en mémoire de ce jour intense en émotions.
Longue et heureuse vie à G.

Anonyme a dit…

Ce jour-là est comme un jour d'anniversaire de naissance, un jour heureux et je souhaite tout le bonheur du monde à ton fils. Que ce bonheur de pouvoir vivre rejaillisse sur les parents dont l'enfant est mort, où qu'ils soient j'espère qu'ils le sentent en ce jour...
samantdi

Valérie de Haute Savoie a dit…

DDC et Samantdi oui c'est un jour de fête, une vraie deuxième naissance. J'avais d'ailleurs raconté la nuit de cette transplantation sur un billet. Vécu avec cette même fébrilité mêlée d'angoisse mais pleine d'espérance.
J'espère aussi que de l'autre côté des Pyrénées, une douceur tendre enveloppe les parents en ce jour de célébration.

Dr. CaSo a dit…

<3

Madleine a dit…

Je lis avec retard... les yeux embrumés... car je savais ce que tu allais écrire...

Valérie de Haute Savoie a dit…

Madleine, chaque année moi aussi je pleure cet enfant qui a sauvé le mien. Parce que même si grâce à lui mon fil vie, là bas des parents pleurent.

laurence a dit…

Valérie chaque année tu rends hommage à celui qui a sauvé le tien et à chaque fois mes pensées émues t'accompagnent ainsi que ces parents là bas... hier j'ai subi une petite intervention mais j'ai bien redis" si je meurs on donne tout pour les organes" je n'ai pas oublié...

Valérie de Haute Savoie a dit…

laurence, je comprends que cela ne soit pas du tout évident de dire que l'on est 100% donneur d'organes, et du coup, lorsque je rencontre des personnes qui le sont, je suis émue et reconnaissante. Mais je n'ai jamais de jugement pour ceux qui ne le sont pas, c'est une décision douloureuse.