vendredi 17 janvier 2014

Crachouillis de dentelles

Il plonge dans l'agence, les mots se bousculant déjà avant même qu'ils ne soient prononcés. La bouche plein de mousse blanche d'avoir mâché tant et tant son angoisse verbale. Le pas est raide, rapide, il traine un vieux chien qui déborde d'amour et qui sent mauvais, très mauvais. 
Branle bas de combat, tous aux abris, ne reste que Solène, une dernière barrière de bois la protègera, en haut l'on ferme les portes pour ne pas entendre, c'est parti !

Tant de mots qu'il aimerait pouvoir sortir d'un jet, mais c'est sa mousseuse salive qui démarre le bal. Le comptoir de bois très vite humide, Solène se recule, les mots se déversent, staccato infernal.

Il pue, mais c'est, dit-il, dû à son oreille qui suinte, sans doute aussi un petit manque d'hygiène. Il vit seul, débile léger, sa soeur a migré dans le sud. Seul et perdu, l'angoisse régit sa vie.

Aujourd'hui il déboule pour dire combien lui insupporte de voir le soir, alors qu'il va faire pisser le chien, la voisine du rez de chaussée, qui se promène chez elle en petit slip dentelle et haut sexy.
Mais mais, il s'étouffe,  l'autre soir elle avait en plus un pantalon en cuir noir et un blouson. Il éructe de sa voix monocorde, forte, intarissable. Aucune respiration n'apporte de virgule à cet incessant délire, le chien paisible s'est allongé sur le carrelage, il sait lui combien son maître peut s'emballer des heures.

Les clients qui entrent s'arrêtent interdits, figés par ce débordement verbal. Lui, perdu dans son délire ne s'arrête pas, en boucle la voisine revient, la dentelle, la lumière, la culotte, une honte, une honte, une honte...

Et tout à coup il s'en va, le dos raide, la démarche mécanique, le chien s'est levé, et de son pas traînant le suit vers on ne sait quel autre déversoir.

Il reviendra demain, ou la semaine prochaine, s'exhale un grand soupir de l'agence tout entière.

3 commentaires:

Gilsoub a dit…

Il y a des détresses humaine que l'on ne sait pas trop comment les gérer... :-(
Pourtant j'en connais beaucoup qui serais content d'avoir une voisine en culotte de dentelle ;-)

Hervé a dit…

pauvre homme ...

Valérie de Haute Savoie a dit…

Hervé, je l'ai croisé samedi, bavardant avec un passant, tranquille, son chien couché à ses pieds. C'est sa vie, je ne suis pas sûre que sa vie lui déplaise.

Gilsoub, si elle est jolie :)