mardi 17 février 2009

le temps qui passe.

Hier
Elle a appelé à peine neuf heures passées.
Je viens de jeter un oeil sur mon planning, à onze heures est programmée la visite d'un nouveau lot.
C'est justement pour celui-ci qu'elle appelle. Il est sur le site, elle veut le voir, vite. Je lui propose de se joindre à mon rendez vous de onze heures.
Un rire de gorge
"Ah mais c'est impossible, je suis à Lausaaaannne !"
- Alors mercredi ? J'en ai un à onze heures trente.
Oooh non vraimeeent, je travaille tous les jours sauf le mardi.
Je pourrais la caser mardi. Mes deux rendez-vous du matin peuvent se débrouiller seuls, je leur donnerai les clefs. Je lui propose dix heures. - Ahahah je suis compliquée - son rire de gorge - mais vous ne pouvez pas un peu plus tard, onze heures ?
- Onze heures ? D'accord, je vous attends à l'agence alors.
A l'ageeeence ? Ce n'est pas possible que nous nous retrouvions devant l'immeuble ? C'est juste à côté de la douane, je suis à pied, j'ai du mal à marcher.
- Bien... alors je vous attendrai devant l'immeuble. Prévenez-moi si vous avez un empêchement.
Je note ses numéros de téléphone et son nom, je raccroche et démarre ma journée sur les chapeaux de roues.

Aujourd'hui
J'ai bloqué presque toute ma journée pour saisir les états des lieux, m'occuper des travaux, préparer le reste de la semaine.
A dix heures cinquante j'enfile ma veste, vérifie que mes fiches lots sont imprimées - puisqu'elle vient de loin je vais lui montrer deux autres appartements que j'aime particulièrement - récupère les clefs, ma boussole et descend en courant les escaliers. J'ai trouvé une place tout près, il neige sans arrêt depuis hier soir. Tout est blanc, il fait à peine zéro degré, je suis contente d'avoir pris mes mitaines.
Chance ! Les feux sont tous verts, la circulation fluide et je trouve une place pour me garer, je suis pile à l'heure. J'attrape mon classeur, mon sac, les clefs et d'un bon pas je me dirige vers l'entrée.
Personne. J'ai proposé à un client, hier, de se joindre à nous. Je le vois passer en voiture, cherchant le numéro, l'air concentré. Je lui souris et lui fait un petit signe de la main pour lui signaler le parking tout près, il continue, cherchant toujours le numéro devant lequel il vient de passer.
La neige tombe drue, bien droite je regarde vers la douane, essayant de deviner qui sera ma cliente. Arrive au loin une femme boitant, la voilà ! Je la regarde s'avancer et lentement amorce quelques pas pour venir à sa rencontre. Elle avance, traînant la jambe, me dépasse sans ralentir et rentre dans la banque juste à côté. Un monsieur me regarde en souriant et me salue en me croisant. Je marche dix pas, me retourne et repars dans l'autre sens. Mon autre client revient lentement, le nez collé au pare-brise, scrutant les plaques des immeubles, je m'avance sur la route, lui fait un grand signe de la main, lentement il roule, je suis transparente.
Cela fait un quart d'heure que j'attends et mes pieds sont totalement glacés. J'ai remonté ma capuche et passe un coup de fil à mes collègues pour qu'elles joignent ma retardataire.

"Un quart d'heure !" m'a dit mon dirigeant "ensuite je suis suffisamment énervé pour partir sans attendre une seconde de plus"... oui, mais je sais qu'elle a fait le trajet juste pour cette visite, j'attends la réponse de mes collègues.

Une demi-heure.
Le Monsieur de tout à l'heure revient et s'arrête avec un grand sourire "Il ne viendra plus allez ! Ne l'attendez plus ! Si vous êtes encore là quand je reviens, je vous emmène avec moi !"
Je rappelle mes collègues "Ecoute Valérie on a trop de monde là. On peut pas appeler !"
Trente cinq minutes, j'abandonne, lentement je rejoins ma voiture en lançant un dernier regard au cas où. Dans le rétroviseur je tente une dernière fois et rentre au bureau.
Presqu'une heure de perdue. Je reprends mon fichier et continue la saisie là où je l'avais laissée. Parquet neuf, plinthes carrelage neuf, légère rayure de deux centimètre à droite en entrant ,sur le mur. Prises = 8, Inter = 3, douille = 1, ampoule = 0 / Vidéophone... Téléphone ! C'est ma cliente, elle est désooooooooolééééééeee ! Il y avait tellement de monde et le tram en retard, elle est là avec sa fille, devant l'immeuble. Elle est tellement désoooolééééee. Je soupire, ma matinée est fichue, il est presque midi, allez ! j'y retourne !
Devant l'immeuble PERSONNE ! Je regarde à droite, à gauche, tourne autour de l'immeuble, entre dans le hall, ressort.... j'attends, je peste, je rage, je la hais !
J'appelle mes collègues pour qu'elle la contacte, je refuse d'appeler de mon téléphone personnel, elle a un "natel" Suisse. En attendant je prends une photo.

Elle t'attend au cinquième !
Mais qu'elle conne ! D'un pas rageur je retourne dans le hall, appelle l'ascenseur, et tente de reprendre figure humaine avant de la retrouver. Elle est adossée, nonchalante, contre la rambarde de l'escalier. Bonjouuuuuuuuuuur ! Je suis désoléééeee ! Froidement je lui dis qu'il était entendu que nous nous attendrions en bas de l'immeuble, que je ne pouvais imaginer qu'elle entrerait sans vigik. Ah bonnnnnn ? Mais ce n'est pas graaaave dit-elle d'un ton qui semble excuser mon retard.
Se calmer, respirer, j'ouvre la porte de ce superbe appartement. Elle est soufflée, la petite fille qui l'accompagne ouvre des yeux émerveillés.
Ma chériiiiiiiie je crois que nous avons trouvé notre logement... Il est midi cinq... c'est exactement ce que je cherche, une cuisine aménagée et regarde moi cette arcade. Elle déambule d'une pièce à l'autre, ouvre les placards, se penche au dessus du balcon, évalue le bruit, vérifie la qualité du papier peint, revient sur ses pas, teste chaque fenêtre.
Je tente d'accélérer les choses, il lui plaît, parfait, il suffira de monter un dossier... je lui tends les fiches à remplir, celle détaillant les documents pour que le dossier soit complet.
Elle les prends, les range, veut me faire un chèque. Calmement je lui explique que là nous ne faisons que visiter, mais qu'il y a déjà trois dossiers qui sont presque finalisés, qu'il faut qu'elle se dépêche. Elle veut refaire un tour de l'appartement, retourne sur le balcon, moque le vertige de sa fille, tapote les radiateurs, traverse le séjour et se plante devant la première chambre :
Tu vois ma chérie, cette chambre sera la tienne.
Pourquoi je peux pas avoir l'autre ?
Mais ma chérie, dans le séjour il y aura la télévision et l'ordinateur, alors il vaut mieux que ce soit moi qui sois juste à côté, comme cela le bruit ne te dérangera pas.
Mais ça me dérange pas... midi et quart ...
Si si crois-moiiiiiiii ! Tu te couches à huit heures et demie - NEUF HEURES ! - non ma chérie huit heures et demie.
Tout en discutant elle retire son manteaux. Je suis effarée, la voilà qui va aux toilettes, "Madame ? Je ne suis pas sûre qu'il y ait de l'eau" Elle s'en fiche, laisse la porte ouverte, fait tranquillement son pipi tout en bavardant. Sa fille est décomposée, me lance un regard désolé.
J'entends qu'elle tire la chasse, petit bruit métallique, le réservoir est vide.
Oh mais ce n'est rien crie-t-elle des toilettes, j'ouvre le robinet, il suffira d'attendre que le réservoir se remplisse. Elle sort et se plante devant sa fille qui voudrait bien s'enfoncer sous le parquet.
BONNNN ! Eh bien ma chérie... comment faire pour que cet appartement soit à nous ?
Elle déplie ses bras d'un grand mouvement, lève la tête vers le plafond, prend un air inspiré...sa fille pétrifié me supplie du regard, je suis muette écoutant la chasse d'eau se remplir lentement.
Il faut que nous rassemblions les énergies positives... mamannnn dit d'une petite voix plaintive la toute petite fille qui voudrait tant que cette visite se termine... il est presque midi et demi, la chasse d'eau s'est tue.
Bien, Madame, allez tirer la chasse d'eau, nous allons y aller.
Oui mais avant il faut encore essayer les volets roulants, vérifier qu'ils descendent jusqu'au bout, elle ne peut pas dormir sinon - Vous savez je suis un peu maniaque. Et bien sûr celui qu'elle essaye semble coincé. Ah ah ! il va falloir que vous appeliez quelqu'un pour le décoincer.
Oui mais pas maintenant, là vous allez tirer la chasse. Lentement, tout sourire, elle s'exécute, remet son manteaux, esquisse un pas vers la fenêtre.
J'ouvre d'un geste décidé la porte, les dirige vers la sortie. Terminée la visite ! Fini de rire, je m'en vais !
Dans l'ascenseur elle m'explique qu'elle enverra le dossier pas la poste. Très bien c'est parfait, je m'en contrefiche, je la plante là sur le trottoir, me penche vers cette petite fille si jolie, lui fait un grand sourire, je l'embrasserai bien, mais je me contente de lui serrer tendrement la main. Au revoir madame, ravie de vous avoir connue, mon ventre gronde de faim !

18 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu as de la patieeeence, toi ! (est-ce avec l'accent genevois qu'il faut le dire - ou vaudois ?). Et la ponctualité suisse, alors ? (je parle du tram, là, pas de la dame !). J'ai comme l'impression que son dossier va se perdre dans le chemin... ;-)

Valérie de Haute Savoie a dit…

Pour le dossier, non :) Je mets un point d'honneur à ne pas intervenir. Le seul pour qui j'ai vraiment mis toute mon énergie était ce jeune homme qui vivait dehors. Il reste mon chouchou !
Je ne sais pas si elle était suisse, mais l'autre jour j'ai fait l'état des lieux d'entrée d'un vrai suisse absolument charmant :D

Anonyme a dit…

Vu d'ici, de loin et d'ailleurs, c'est très drôle :)

samantdi a dit…

Elle me semble du même genre que la pipelette qui a occupé hier tout mon voyage en train ! Il doit y avoir une conjonction favorisant l'apparition d'emmerdeuses dans notre ciel astral :-)

Anonyme a dit…

Je serai moins polie que les autres ! Ce qui me vient à l'esprit en lisant c'est : "mais quelle morue !!!"

Tili a dit…

Je crois que tu as gardé ton calme à cause de le pauvre petite fille n'est ce pas ?

Anonyme a dit…

Ah mais Samantdi et toi, vous savez : vous êtes trop gentilles !

Lu d'ici cela m'a bien fait rire malgré tout !

Anonyme a dit…

Quel sans gêne ! on voudrait croire que tu as tout inventé mais malheureusement non !

Lise a dit…

C'est drôle de voir comme certains se servent dans notre générosité "sans gêne".

Mais ce n'est pas en vain, pour cette petite fille en tous cas, car cette tendresse que tu lui as manifestée est là pour elle.

Belle journée à toi ! (sous la neige, toujours ?)

Anonyme a dit…

C'est le piment d'une bonne journée de travail... Avec le coup des toilettes:)Belle preuve de professionnalisme !

Anonyme a dit…

Gggrrrr, y'a des gens, vraiment... Je t'admire pour ta patience :)

Olivier a dit…

Heeeeee ben.... Encore des gens qui considèrent que la terre entière doit tourner autour de leur petite personne...

Bravo pour ton calme royal. :)

Anonyme a dit…

lool j'ai adoré ton histoire. Les sans-gènes sont les mêmes partout!

Valérie de Haute Savoie a dit…

Samantdi, cela n'a duré qu'une heure contrairement à ton voyage interminable :)
C'est, sur le moment un peu pénible parce que je savais tout ce qui m'attendait sur le bureau, mais en même temps je suis fascinée par le genre humain et là j'étais plutôt gâtée.
Madaaaaaame était Artiste je crois, et vivait dans son monde merveiiiiillllleeeuuux (un accent snob et non suisse )
Comme le dis Olivier de Montréal, le monde tourne autour d'elle c'est tout.

Anonyme a dit…

Ah là là, je t'admire pour tant de patience. Quand on est respectueux des autres, on est toujours ébahi par un tel manque de savoir-vivre. Ce genre de personnes ne s'excuse jamais, qui plus est, tout leur est dû. Je plains sa fille, vraiment. Pas facile d'avoir une mère pareille.

Anonyme a dit…

Je suis quelque part soulagée de lire que sa fille ne semble pas être contaminée (à être dans ce bain-là depuis toute petite, elle aurait pu identifier cela à la "normalité").

Anonyme a dit…

Quelle grosse conne y a pas d'autre mot je plains sa gamine :o(

Moi je ne pourrais pas faire preuve d'autant de patience

Anonyme a dit…

Ce qui est mignon, c'est que Valérie, même quand elle est énervée et hors d'elle, elle ne peut pas s'empêcher d'être gentille : cf le bisou (avorté...) à la petite fille.

T'es bien toujours la même, toi !