C'était en général en soirée qu'il m'appelait dans son bureau. Les fenêtres donnaient sur le noir de la nuit, et seule une lumière très douce teintait la pièce d'un jaune chaleureux. Je m'asseyais dans l'un des deux fauteuils en cuir bleu gris, ceux qui la journée recevaient ces "patients" si mystérieux.
Il me regardait avec cette retenue pleine d'amour, cherchant sans doute à rassurer cette petite fille à qui il allait faire passer une nouvelle fois des tests.
De sa voix grave qui me faisait frissonner de plaisir, il m'expliquait lentement comment nous allions procéder. Il me donnerait un cahier rempli de dessin, je devrais trouver celui qui complèterait la série, page après page, et si parfois je ne trouvais pas il me suffirait de passer à la suivante.
J'aimais beaucoup faire ça. Intuitivement je sentais que je ferai pour une fois plaisir à mon papa, et puis là au moins je faisais juste, moi qui à l'école était toujours la dernière, l'idiote.
J'ouvrais mon cahier, papa regardait sa montre, le jeu commençait dans un silence bienveillant.
La toute première page me posait toujours un petit problème, il me semblait entendre les aiguilles démarrer leur course, je voulais réussir, pour mon papa, mais aussi parce que j'aimais ces jeux, et que je voulais arriver à la fin.
Dès la deuxième série j'oubliais le temps, ne restait plus que le plaisir de chercher, de trouver, loin de l'épouvante que me procurait l'école, là ne restait que le bonheur de trouver la solution. Il n'y aurait pas de note, pas de jugement, le seul endroit où je sentais mon cerveau libéré de son obligation à se taire. Je finissais un cahier, papa regardait sa montre, notait l'heure, me tendait un autre cahier, m'expliquait la nouvelle règle du jeu, et l'excitation montait d'un cran.
A la fin des cahiers, pendant que papa faisait des calculs, je m'enfonçais tout au fond du fauteuil légèrement rebondi, bien lisse, et je savourais ce moment où je l'avais pour moi toute seule.
Lorsqu'il relevait la tête, je savais qu'une fois de plus j'avais juste. Il me posait alors des questions, pourquoi avais-je choisi ce carré pour finir la série, pourquoi avais-je hésité là ? Cela prolongeait encore un peu ces instants rien qu'à nous, personne n'avait le droit de nous déranger alors, seuls les bruits étouffés de la préparation du repas arrivaient à traverser la porte capitonnée.
Il relevait la tête, d'une voix grave et lente me disait un chiffre, un âge aussi, celui que j'avais en faisant ces tests; j'étais plus vieille, mais depuis toujours j'étais plus vieille et cela ne changeait rien à mes notes de l'école. Qu'importe, il avait l'air d'être content, et moi j'avais réussi.
Il était temps d'aller manger, moi légère gambadant dans le couloir, auréolée pour un soir de l'amour de mon père.
Il me regardait avec cette retenue pleine d'amour, cherchant sans doute à rassurer cette petite fille à qui il allait faire passer une nouvelle fois des tests.
De sa voix grave qui me faisait frissonner de plaisir, il m'expliquait lentement comment nous allions procéder. Il me donnerait un cahier rempli de dessin, je devrais trouver celui qui complèterait la série, page après page, et si parfois je ne trouvais pas il me suffirait de passer à la suivante.
J'aimais beaucoup faire ça. Intuitivement je sentais que je ferai pour une fois plaisir à mon papa, et puis là au moins je faisais juste, moi qui à l'école était toujours la dernière, l'idiote.
J'ouvrais mon cahier, papa regardait sa montre, le jeu commençait dans un silence bienveillant.
La toute première page me posait toujours un petit problème, il me semblait entendre les aiguilles démarrer leur course, je voulais réussir, pour mon papa, mais aussi parce que j'aimais ces jeux, et que je voulais arriver à la fin.
Dès la deuxième série j'oubliais le temps, ne restait plus que le plaisir de chercher, de trouver, loin de l'épouvante que me procurait l'école, là ne restait que le bonheur de trouver la solution. Il n'y aurait pas de note, pas de jugement, le seul endroit où je sentais mon cerveau libéré de son obligation à se taire. Je finissais un cahier, papa regardait sa montre, notait l'heure, me tendait un autre cahier, m'expliquait la nouvelle règle du jeu, et l'excitation montait d'un cran.
A la fin des cahiers, pendant que papa faisait des calculs, je m'enfonçais tout au fond du fauteuil légèrement rebondi, bien lisse, et je savourais ce moment où je l'avais pour moi toute seule.
Lorsqu'il relevait la tête, je savais qu'une fois de plus j'avais juste. Il me posait alors des questions, pourquoi avais-je choisi ce carré pour finir la série, pourquoi avais-je hésité là ? Cela prolongeait encore un peu ces instants rien qu'à nous, personne n'avait le droit de nous déranger alors, seuls les bruits étouffés de la préparation du repas arrivaient à traverser la porte capitonnée.
Il relevait la tête, d'une voix grave et lente me disait un chiffre, un âge aussi, celui que j'avais en faisant ces tests; j'étais plus vieille, mais depuis toujours j'étais plus vieille et cela ne changeait rien à mes notes de l'école. Qu'importe, il avait l'air d'être content, et moi j'avais réussi.
Il était temps d'aller manger, moi légère gambadant dans le couloir, auréolée pour un soir de l'amour de mon père.
17 commentaires:
Curieux ca il te faisait passer des test de QI ou bien ? Etrange etait il inquiet d'avoir une fille surdoué ou bien etait ce pour son travail ? En tous cas tu en as gardé des souvenirs chaleureux a te lire ;o)
J'ai la même impression partagée : mais pourquoi ces batteries de tests ? Et en même temps, ce n'est pas très important, quels jolis souvenirs...
il devait sans doute se rassurer sur le bon fonctionnement de mon cerveau (puisqu'il ne pouvait pas l'être par mes résultats scolaires)
Je comprends ce sentiment d'intimité, de partage avec ton père. De très jolis souvenirs.
(Il ne les faisait pas passer aux autres enfants de la famille ?)
En fait tu as eu bien de la chance d'avoir ces moments de complicité où tu pouvais t'accomplir fièrement, puis ça vous rassuraient tous les deux.
Très touchant comme texte!
Je comprends combien ces moments devaient être précieux...
Quelques décennies plus tard, quel bonheur de lire un blog écrit par une "idiote", par "la dernière de la classe" !
Je suis sûr que le blog du premier (ou de la première) de la classe (à supposer qu'ils en écrivent un...) est de qualité bien inférieure.
Pas besoin de tests de QI pour s'en rendre compte.
Fauvette, sans doute devait-il le faire, moins souvent puisqu'ils réussissaient sans problème particulier.
Le revers de ces résultats étaient que l'on me soupçonnait de faire "exprès" d'être nulle en classe. Moi même d'ailleurs ne comprenais par pourquoi mon cerveau se refermait comme une huitre dès le palier de porte de l'école passé.
Lancelot tu es vraiment trop peu objectif... mais je te remercie de cette subjectivité :)
J'avais une adoration pour mon père, et lorsqu'il s'occupait de moi mon œdipe ne se retenait plus :D
Finalement, l'intérêt de ces tests était non pas de mesurer tes aptitudes intellectuelles, mais de laisser ces souvenirs "d'intimité et de partage" [Fauvette], cette légère mélancolie joyeuse.
j aurais adoree,a lire,je t envie...
moi qui n est pas eu de vrai papa mais un b.pere maltraitant,qui m a tjr traite plus bas que terre car j etais dyslexique...
Oui c'est vrai, ce souvenir a pris des senteurs d'enfance tendre.
Ah Nefertiti, avoir été traitée plus bas que terre est une blessure d'enfance terrible :(
Mes parents plus tard ont eu de vrais doutes sur mon avenir, et ne m'ont pas ménagée, mais ma petite enfance a été très solide et aimée, et cela m'a donné des armes indestructibles pour affronter la suite. Heureusement que tu as un amoureux qui panse tes blessures d'enfance.
A l'école, peut-être que c'est le plaisir du partage, le plaisir de d'apprendre ensemble, l'absence d'une écoute bienveillante qui te refermaient le cerveau ? On sent tellement combien la joie d'être avec ton père te porte pour réussir les exercices qu'il te faisait passer, et combien ces moments là étaient heureux.
De mon côté, j'ai violemment ressenti la rupture entre la liberté et le plaisir d'apprendre en primaire, et la dureté du secondaire et là mon cerveau aussi s'est pas mal fermé !
un enfant a besoin de réussir pour grandir. Ton père a su te donner cette assurance que tu ne trouvais pas à l'école, inadaptée pour beaucoup d'enfants de notre époque, qui souffraient tant d'une discipline scolaire particulièrement cruelle.
C'est pas banal, mais c'est touchant.
Mon papa ne s'est jamais intéressé vraiment à ce que je faisais à l'école. Il n'avait pas assez de temps pour jouer avec moi ou avoir des activités comme celles dont tu parles. Je me rappelle davantage des longues parties de pêches au brochet ou l'été, de ces marches épuisantes sur l'estran pour aller pêcher à pied des coquillages.
Quelle émotion que ce post pour moi...Abandonner mon père à l'aéroport a été tellement dur ! On ne fait pas pleurer ses parents, et voir des larmes plein les yeux de mon père était terrible. Ces moments d'intimité que nous racontes sont bien jolis...A bientôt.
Sandrine, je comprends ce déchirement, d'autant plus que tu pars vraiment loin.
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