octobre 1991
Il avait fallu t'abandonner seul dans ton box. Tu t'étais endormi épuisé par cette journée cataclysmique, j'avais l'impression en me penchant sur ton berceau que je te regardais pour la dernière fois. Le service était déjà plongé dans la pénombre et c'est sur la pointe des pieds que nous étions sortis de ta chambre. Je te perdais.
Je dormirais comme prévu chez mon frère rue des quatre fils, on m'y attendait et chacun cherchait à éclairer ce trou noir dans lequel je me noyais. Le téléphone ne cessait de sonner, la nouvelle invraisemblable avait couru tout le long de la famille. Demain JP et C me rejoindraient, mais ce soir là nous étions tous assommés.
Incapable de dormir, dès quatre heures je suis debout, je bois un café brûlant et me prépare pour la route. Paris est totalement paralysé par la grève, pas de bus, pas de métro, il faut que je trouve un taxi.
Il fait doux, les pavés viennent tout juste d'être nettoyés, ils brillent et la rue est vide. Je ne connais pas le quartier, je pleure sans discontinuer depuis hier soir, je suis affreuse, bouffie, hébétée. Il faut que je trouve une station, aller vers Rambuteau, mais c'est où Rambuteau ? Je trébuche sur le trottoir, un homme sort d'un porche en marchant énergiquement. C'est la première personne que je croise - "Excusez-moi, pourriez-vous me dire où se trouve la station de taxi la plus proche ?" - "Mais vous n'en trouverez pas, pas aujourd'hui, c'est la grève" - "Ah ! Pour aller au Kremlin Bicètre je dois marcher dans quelle direction ?" - Je dois avoir un tel air de désolation - "Mais c'est loin, à pied c'est vraiment loin ! Vous êtes sûre que vous devez y aller ?" - Je lui dis que oui, que mon bébé est là bas, qu'il m'attend... "Venez, je vais vous avancer un bout de trajet, je prends ma voiture, suivez-moi !"
Nous descendons dans le parking, lui très chic, costume bien coupé, chaussures cirées, bel homme ! Moi, serpillère !
Il m'ouvre la portière de sa Rover décapotable noire... Et là franchement je regrette quand même un peu d'être aussi moche !
Il me conduira jusqu'à l'entrée de l'hôpital, me prédira toutes sortes de belles choses pour G. et d'un au revoir souriant me donnera l'énergie pour cette journée pas facile.
Alors moi je dis Vive la Grève !
Il avait fallu t'abandonner seul dans ton box. Tu t'étais endormi épuisé par cette journée cataclysmique, j'avais l'impression en me penchant sur ton berceau que je te regardais pour la dernière fois. Le service était déjà plongé dans la pénombre et c'est sur la pointe des pieds que nous étions sortis de ta chambre. Je te perdais.
Je dormirais comme prévu chez mon frère rue des quatre fils, on m'y attendait et chacun cherchait à éclairer ce trou noir dans lequel je me noyais. Le téléphone ne cessait de sonner, la nouvelle invraisemblable avait couru tout le long de la famille. Demain JP et C me rejoindraient, mais ce soir là nous étions tous assommés.
Incapable de dormir, dès quatre heures je suis debout, je bois un café brûlant et me prépare pour la route. Paris est totalement paralysé par la grève, pas de bus, pas de métro, il faut que je trouve un taxi.
Il fait doux, les pavés viennent tout juste d'être nettoyés, ils brillent et la rue est vide. Je ne connais pas le quartier, je pleure sans discontinuer depuis hier soir, je suis affreuse, bouffie, hébétée. Il faut que je trouve une station, aller vers Rambuteau, mais c'est où Rambuteau ? Je trébuche sur le trottoir, un homme sort d'un porche en marchant énergiquement. C'est la première personne que je croise - "Excusez-moi, pourriez-vous me dire où se trouve la station de taxi la plus proche ?" - "Mais vous n'en trouverez pas, pas aujourd'hui, c'est la grève" - "Ah ! Pour aller au Kremlin Bicètre je dois marcher dans quelle direction ?" - Je dois avoir un tel air de désolation - "Mais c'est loin, à pied c'est vraiment loin ! Vous êtes sûre que vous devez y aller ?" - Je lui dis que oui, que mon bébé est là bas, qu'il m'attend... "Venez, je vais vous avancer un bout de trajet, je prends ma voiture, suivez-moi !"
Nous descendons dans le parking, lui très chic, costume bien coupé, chaussures cirées, bel homme ! Moi, serpillère !
Il m'ouvre la portière de sa Rover décapotable noire... Et là franchement je regrette quand même un peu d'être aussi moche !
Il me conduira jusqu'à l'entrée de l'hôpital, me prédira toutes sortes de belles choses pour G. et d'un au revoir souriant me donnera l'énergie pour cette journée pas facile.
Alors moi je dis Vive la Grève !
7 commentaires:
La grève provoque quelques fois de jolies rencontres.
Et puis aujourd'hui paris donne aussi l'impression d'être Amsterdam avec tous ces vélos dans les rues
Abandonner le bébé seul dans son box...
Ah cela donne de l'espoir ! Il y a toujours une petite lueur d'humanité à attendre. Merci Valérie.
Un ange costumé (tu ne lui as pas vu les ailes ?). C'est réconfortant, ton récit. Quand il nous arrive des histoires comme ça, on peut se permettre de croire que l'humanité a un bel avenir malgré tout.
Pablo, maintenant que tu le dis, des ailes auraient été tout à fait à leurs places :)
Antagonisme, plus tard j'ai pu avoir une place à la maison des parents et je pouvais, la nuit, venir faire un tour dans le service pour juste le voir dormir.
Bricol-girl, Philoo et Fauvette, même si pour avoir eu droit à plusieurs grosses grèves lors des hospitalisations de G. il y avait un petit air de fête dans les rues à ce moment là et maintenant avec les vélos cela doit être assez folklorique non ?
Vive le désordre qui détourne de leur chemin les messieurs aux souliers bien cirés. J'espère que celui-ci se souvient avec douceur de cette main qu'il a tendu ce jour là, pas de la même façon que toi, mais précieusement aussi.
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