mercredi 4 juillet 2007

un matin

Certains passages de nos vies s'étirent en un fil si ténu que la hantise que celui-ci casse fait que nous nous absentons de nos vies. Et l'on gardera éternellement cette facilité à se retirer pour ne plus avoir à affronter la douleur.

(janvier 1993)

Se retenir pour ne pas se jeter sur le téléphone, attendre encore un peu... interminable.. Les aiguilles de la montre au dessus de la cheminée semblent s'être arrêtées. Vers 7h30 on ne tient plus. Une, deux sonneries, une infirmière décroche, je bredouille, je voudrais savoir comment va mon fils G.. Bien sûr c'est trop tôt, elle ne peut pas en dire plus que ce que nous a dit le dr Valayer cette nuit, on est trop près de la greffe, on pourra le voir à 15h00 en attendant inutile de rappeler. Je raccroche, hébétée, impuissante.
Alors on attend, on boit des cafés, on se raconte notre nuit. Vers 9h00 on va faire un tour dans le service, au moins être dans le bâtiment quelques étages en dessous de lui, mais se rapprocher. On quête des nouvelles, mais cette étape est si fragile que personne ne peut dire s'il va la surmonter. Il est tout seul, pour l'instant attendre.. attendre.. attendre encore. Tous ceux qui suivent G. depuis sa naissance sont en attente comme nous.

Enfin il est quinze heures, nous montons au septième, couloir désert, le silence nous enveloppe. Nous sonnons, une éternité et l'interphone grésille, au fond le brouhaha du service et une voix qui nous demande de patienter et raccroche. De nouveau le silence avec l'angoisse qui monte... pourquoi ne s'ouvre-t-elle pas ? Y a-t-il un problème ? On ne se parle pas, on est deux et seuls.

Puis la porte s'ouvre sur un sas muni d'armoires, des corbeilles remplies de blouses en papier bleues, jaunes ou vertes. Les chaussures des visiteurs sont rangées sous un banc. Nous enlevons donc, nous aussi, nos chaussures et revêtons une blouse donnée par l'infirmière. Nous attendons encore quelques minutes et enfin on nous autorise à pénétrer en réa. Il règne une tension dynamique. Tous le monde se déplace vite mais calmement. En face de la porte, des berceaux avec de tout petits bébés que leurs parents peuvent voir à travers les vitres, les chambres sont toutes entièrement en murs vitrés, rien n'échappe au regard.
En chuchotant je demande à l'infirmière où est la chambre de G., je n'ai pas fini ma phrase qu'une sirène assourdissante rugit au dessus de nous, une cavalcade de médecins et d'infirmières se précipitent dans la chambre au fond du couloir, à droite. Celle de G. ! Un cri "il s'est arraché ses tuyaux" - il y a une sorte d'affolement contrôlé, on nous repousse dans le sas.
Nous ne le verrons pas aujourd'hui, et repartons orphelins.

... trois mois plus tard, le jour de mon anniversaire, nous quitterons l'hépato ...

Et puisque l'avenir est encore très incertain, pour reprendre des forces nous partons en famille en Bretagne...

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me demande si aujourd'hui on ne vous aurais pas laissé être plus proche de lui quand'même. Ca a dû être si difficile de ne pas le voir même pendant quelques heures...

Valérie de Haute Savoie a dit…

Non, tu sais la réa c'est très lourd comme service. Aujourd'hui, du moins au KB, les visites sont autorisées et encouragées à partir de 15h mais avant il y a tellement de choses à faire (soins, traitement...) Le lendemain nous avons eu le droit de le voir, il était content et dès qu'ils nous a vu il s'est enfin endormi :)

Anonyme a dit…

Que de moments éprouvants Valérie... En voyant cette photo si joyeuse de G. jouant dans l'eau je suis très émue. Pour toi, pour lui, pour vous sa famille.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Merci Fauvette merci ;)

antagonisme a dit…

Mais quel stress! Je n'ai pas réalisé que tu racontais des évènements anciens tout d'abord. Je suis bouleversée par ce que tu racontes, tu as du vivre des moments tellement angoissants. J'imagine ton attente, les minutes qui passent lentement, les questions que l'on se pose... Je suppose que quand on est obligé de faire face, on fait face, mais quel courage tu as du trouver en toi. J'attends la suite. Tout va bien maintenant?

antagonisme a dit…

Je relis le début de ton message. Tu parles de tenir la douleur à distance, pour se concentrer sur l'urgence. C'est exactement cela. Quand on affronte des évènements pas très graves, on peut être envahi par le douleur. Mais quand c'est très grave, il faut enfermer la douleur loin de soi sous peine d'être détruit.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Coucou Parisienne exilée ;) Il va TRES bien (et d'une main je touche le bois exorcisant ces mots.
Le courage ? Lorsque l'on est embarqué malgré soi, on s'accroche à la coque et on prie d'arriver tous ensemble et entiers :D

Otir a dit…

J'hésite chaque jour à poster un commentaire sous tes billets rétrospectifs, parce que sans doute la proximité émotionnelle est trop grande pour me permettre de trouver les mots que j'estimerais assez juste pour te dire ma compassion.

Lorsque tu avais commencé ton récit, j'avais recherché à me renseigner pour connaître la pathologie et rétrospectivement frémi, me sentant si proche de ce que tu as pu vivre en l'apprenant.

Te dire que je te lis avec la gorge nouée, même si je sais que ce sont des épreuves que tu as traversées victorieusement.

Amicalement,

Valérie de Haute Savoie a dit…

J'ai moi même des hésitations à raconter... la crainte que l'on puisse penser que je cherche de la compassion. Je te remercie de tes mots.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas encore tout lu mais je suis complètement scotché par vos aventures ca m'a plongé dans un tourbillon arrière je me revoyais m'inquiéter pour Kévin notre fils et l'angoisse des servidces d'urgence. Je vois maintenant à quel point ce peut etre immensément plus douloureux et délicat....