Comme à chaque étape un peu délicate de ma vie, mon grand frère est là, en retrait, prêt à tendre les bras pour m'empêcher de tomber. Il est resté avec sa petite nièce et ma soeur jusqu'à ce que nous sortions du service. Ils ont, tous les trois, fait des courses pour que nous puissions dîner ce soir à la maison des parents.
Je retrouve Flo que j'ai quittée il y a presque trois semaines. Ce matin, elle prenait son petit déjeuner, quand Annie, qui s'occupe de la gestion de la maison des parents, est venue la voir.
"Tu sais ta copine Valérie, elle va venir tout à l'heure ...Qu'est ce qui arrive ?... y'a un foie pour son fils !.... Ouais super génial..."
Et moi, à ce moment là, je naviguais dans les rayons d'Intermarché... des yaourts par 24, des poireaux... je tripotais mon bip... un week end ordinaire.
La nuit précédent l'appel, alors que nous dormions tous profondément, G. avait poussé un hurlement de bête, un hurlement qui m'avait fait bondir du lit le coeur battant, qui m'avait fait courir jusqu'à son lit, affolée. Il dormait sereinement, le souffle léger. D'une main j'avais caressé son front, effleuré sa joue, ses épaules si douces, vérifié le gavage, puis revenue, totalement vidée, tremblante m'allonger sur le lit, j'avais chuchoté "on dirait qu'il sent la mort, c'est peut être la greffe". Nous avions, à cet instant, trouvé cette phrase incongrue. Nous nous étions rendormis.
C'est l'heure où tous les parents se retrouvent après avoir passé la journée qui en réa, qui en chir ou en hépato. La cuisine est pleine de bruit, l'Italie, la Tunisie, La Sicile, le Nord, le Sud et ce soir la Haute Savoie... tout cela sent bon l'ail, les tomates, les gnocchis, les pommes de terre grillées, la soupe de légumes... nous nous réfugions dans notre chambre, sonnés.
C. grignote, puis exténuée, s'endort sur notre lit. JP reste avec elle, je vais m'affaler dans un des fauteuils de la salle TV, Drucker à l'écran, je suis ailleurs, en attente....
Petit à petit la salle se vide, la maison est silencieuse. Je vais jeter un oeil dans notre chambre, C. et JP dorment, agités.
Flo et Anna sont restées, nous passerons la nuit ensemble. Le docteur Debray a appelé, ils ont commencé à l'ouvrir... l'avion est toujours en l'air... s'il se crache ? ne pas trop y penser... Alors comme des gamines, nous nous mettons à faire le ménage, sans bruit, pour ne pas déranger ceux qui dorment.... décrocher les rideaux, mettre une machine en route.... laver la cuisine à fond récurer les éviers, gratter les plaques de cuisson, frotter les tables... A 23 heures, nouvel appel, la transplantation a commencé... tiens si on changeait la disposition de la salle à manger... sortir les rideaux, les suspendre après avoir nettoyé les vitres... nous ne parlons pas... Flo a vécu cela il y à 15 jours, sa petite Emilie avait à peine 6 mois, Anna attend maintenant depuis plus d'un mois que la sienne quitte enfin la réa... elles savent...
Toujours cette fébrilité joyeuse qui nous accompagne depuis ce matin.
A une heure Dominique rappelle, cela touche à sa fin.... nous peaufinons la décoration... les filles vont se coucher... j'attends !
A trois heures moins le quart, j'entends la porte du bas s'ouvrir, les marches en fer qui résonnent... la porte d'entrée... dans l'encadrement, deux infirmières... je me lève de mon tabouret...
Voilà ! Le combat commence vraiment, maintenant, à cet instant précis ! Je rassemble mes forces pour ce que je sais être le plus dur....
Doucement je réveille JP, nous rejoignons le professeur Valayer dans son bureau. Il est fatigué, assez froid, mais content du déroulement de l'opération. Il cherche vainement un polaroïd du foie de G., ne le trouve pas, mais il était temps nous dit-il, G. est un sacré gaillard, il ne devrait pas rester longtemps en réa.. deux jours sans doute... il s'en va, dormir quelques heures avant sa nouvelle journée...
nous rentrons rassurer C. qui s'est réveillée.
Quelque part en Espagne, des parents sont en deuil...
(janvier 1993)
Je retrouve Flo que j'ai quittée il y a presque trois semaines. Ce matin, elle prenait son petit déjeuner, quand Annie, qui s'occupe de la gestion de la maison des parents, est venue la voir.
"Tu sais ta copine Valérie, elle va venir tout à l'heure ...Qu'est ce qui arrive ?... y'a un foie pour son fils !.... Ouais super génial..."
Et moi, à ce moment là, je naviguais dans les rayons d'Intermarché... des yaourts par 24, des poireaux... je tripotais mon bip... un week end ordinaire.
La nuit précédent l'appel, alors que nous dormions tous profondément, G. avait poussé un hurlement de bête, un hurlement qui m'avait fait bondir du lit le coeur battant, qui m'avait fait courir jusqu'à son lit, affolée. Il dormait sereinement, le souffle léger. D'une main j'avais caressé son front, effleuré sa joue, ses épaules si douces, vérifié le gavage, puis revenue, totalement vidée, tremblante m'allonger sur le lit, j'avais chuchoté "on dirait qu'il sent la mort, c'est peut être la greffe". Nous avions, à cet instant, trouvé cette phrase incongrue. Nous nous étions rendormis.
C'est l'heure où tous les parents se retrouvent après avoir passé la journée qui en réa, qui en chir ou en hépato. La cuisine est pleine de bruit, l'Italie, la Tunisie, La Sicile, le Nord, le Sud et ce soir la Haute Savoie... tout cela sent bon l'ail, les tomates, les gnocchis, les pommes de terre grillées, la soupe de légumes... nous nous réfugions dans notre chambre, sonnés.
C. grignote, puis exténuée, s'endort sur notre lit. JP reste avec elle, je vais m'affaler dans un des fauteuils de la salle TV, Drucker à l'écran, je suis ailleurs, en attente....
Petit à petit la salle se vide, la maison est silencieuse. Je vais jeter un oeil dans notre chambre, C. et JP dorment, agités.
Flo et Anna sont restées, nous passerons la nuit ensemble. Le docteur Debray a appelé, ils ont commencé à l'ouvrir... l'avion est toujours en l'air... s'il se crache ? ne pas trop y penser... Alors comme des gamines, nous nous mettons à faire le ménage, sans bruit, pour ne pas déranger ceux qui dorment.... décrocher les rideaux, mettre une machine en route.... laver la cuisine à fond récurer les éviers, gratter les plaques de cuisson, frotter les tables... A 23 heures, nouvel appel, la transplantation a commencé... tiens si on changeait la disposition de la salle à manger... sortir les rideaux, les suspendre après avoir nettoyé les vitres... nous ne parlons pas... Flo a vécu cela il y à 15 jours, sa petite Emilie avait à peine 6 mois, Anna attend maintenant depuis plus d'un mois que la sienne quitte enfin la réa... elles savent...
Toujours cette fébrilité joyeuse qui nous accompagne depuis ce matin.
A une heure Dominique rappelle, cela touche à sa fin.... nous peaufinons la décoration... les filles vont se coucher... j'attends !
A trois heures moins le quart, j'entends la porte du bas s'ouvrir, les marches en fer qui résonnent... la porte d'entrée... dans l'encadrement, deux infirmières... je me lève de mon tabouret...
Voilà ! Le combat commence vraiment, maintenant, à cet instant précis ! Je rassemble mes forces pour ce que je sais être le plus dur....
Doucement je réveille JP, nous rejoignons le professeur Valayer dans son bureau. Il est fatigué, assez froid, mais content du déroulement de l'opération. Il cherche vainement un polaroïd du foie de G., ne le trouve pas, mais il était temps nous dit-il, G. est un sacré gaillard, il ne devrait pas rester longtemps en réa.. deux jours sans doute... il s'en va, dormir quelques heures avant sa nouvelle journée...
nous rentrons rassurer C. qui s'est réveillée.
Quelque part en Espagne, des parents sont en deuil...
(janvier 1993)
7 commentaires:
Comme cette activité fébrile dans l'attente me parle. Et puis ce moment où il faut rassembler ses forces, et encore attendre, et puis essayer de comprendre. Quel soulagement quand même en te suivant dans ce que tu revis de savoir que la transplantation s'est bien déroulée.
A ce moment là c'est vrai que je n'aurais certainement pas pu raconter ce que je vivais... raconter le présent avec un avenir si fragile m'aurait fait craindre la colère des dieux
Oui même si nous savons que la transplantation s'est bien déroulée, le récit de cette nuit et bouleversant. Merci Valérie.
Impossible de ne pas s'identifier un peu. Même si ce n'est pas comparable, c'est la péritonite de ma fille que je revivais en te lisant. Des raisons différentes, mais cet univers hospitalier en commun et l'angoisse qu'on cherche chacun à sa façon à domestiquer sinon à vaincre.
La dernière phrase est terrible. Pourquoi la vie est t elle si cruelle et si belle à la fois ?
Ces parents en deuil savent qu'ils contribuent à sauver un autre enfant... quelque part, cela a peut-être allégé (un rien, mais c'est déjà ça) leur peine ?
Cela l'allège peut être mais il faut de temps pour que la douleur soit moins envahissante et que l'on puisse considérer positivement le don que l'on a fait. Du moins c'est ce que je crois. Ces parents, s'ils le veulent, peuvent avoir des nouvelles de l'enfant greffé (savoir s'il va bien, si sa vie est belle...)
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