mercredi 11 juin 2025

une dernière photo - 5

Dimanche ma soeur a pris le relais auprès de papa, elle voulait être seule avec lui, j'ai passé la journée avec maman. 

Les nouvelles sont très moyennes et nous espérons tous qu'une place se libère dans le service du professeur Goldwasser à Cochin où papa a déjà ses entrées et connait beaucoup de monde. Il est temps qu'il quitte cet hôpital, pour maman qui passe des heures en taxi, et surtout pour ne plus avoir à faire au dragon de nuit. 

Le lendemain je suis de retour, alité papa ne tente plus vraiment de se lever, il nous accueille avec un grand sourire de soulagement. Je suis venue avec maman qui, bien que très fatiguée, a fait l'effort après mon insistance, de venir. Et papa est si heureux de la voir que cela me transperce de douleur à imaginer sa tristesse de ne pas l'avoir vu pendant trois jours.  Elle est stupéfaite de le voir si angoissé, si douloureux, si mal de se sentir abandonné, et immédiatement exige de rester avec lui la nuit. Elle est si impériale que le médecin ne peut s'y opposer.

Plus personne dans le service ne peut nier que la souffrance qui étreint papa est réelle et insupportable. Enfin, enfin le médecin décide de prescrire de la morphine quand vraiment le paracétamol ne fait plus effet. Son regard perdu, hagard, redevient vivant lorsque les effets se font sentir. Il est de nouveau là, nous discutons tous les trois et rions même. A un moment il me regarde complice et dit qu'il comprend maintenant le plaisir de "se droguer". Il analyse l'effet de cette drogue, apprécie l'apaisement et s'amuse aussi d'avoir des rêves farfelus qui en découlent. 

Je fais un aller retour Vitry Estrapade pour chercher des habits de rechange pour maman, lui apporter aussi ses médicaments, ses affaires de toilettes, et surtout permettre à ces deux grands amoureux de se retrouver seuls. Papa la regarde avec émerveillement et lui dit tout au long de la journée, "Ich han dich garn"(*).

Le soir, même si nous n'avons toujours aucune nouvelle de Cochin, je quitte mes parents heureux d'être réunis. Je fais, sans le savoir, la dernière photo de ce couple indestructible et souriant.

Je pars pleine d'espoir. 


(*) je t'aime en alsacien

5 commentaires:

  1. Je rejoins Chantal, c'est un vrai privilège de te lire. Merci. <3

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  2. Tu n'as pas envie de faire un signalement en bonne et due forme au sujet de cet aide-soignant, genre courrier à l'ARS ou sur la plateforme officielle de signalement des maltraitances sur les personnes âgées ? Parce qu'il se sent intouchable et il va continuer tranquillement. Je sais que c'est difficile, c'est du passé maintenant. Mais quand même...

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    1. Nous l'avons fait, et nous sommes allés voir le médecin et la responsable du service, mais bien qu'ils sachent apparemment il y a si peu de personnel qu'ils s'en contentent hélas.

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  3. Oui j'avais commencé le récit, mais j'ai préféré le retirer et tout écrire avant de publier ces souvenirs encore assez douloureux. Merci pour votre gentillesse ❤️

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