Un dernier regard sur le pare-choc pour constater l'étendu des dégâts, déjà résignée à rogner sur le budget pour une réparation certainement inutile mais obligatoire, j'appuie sur la télécommande, le petit bruit sec du verrouillage, journée finie, demain est un autre jour. Je sais qui est le malotru qui à rayé le blanc parfait de la petite Jazz que l'on m'a prêtée le temps de cette révision obligatoire, mais je ne peux rien faire, juste me féliciter d'avoir insisté ce matin pour faire basculer mon assurance sur cette voiture. La leur ayant une franchise de mille cinq cent euros, j'aurais dit adieu à ma prime à l'intéressement. Allons allons Valérie, plaie d'argent n'est pas mortelle, le soleil brille, les oiseaux chantent, cloches carillonnez gaiement, et d'un bon pas je file à la maison.
Première porte, vérifier la boite aux lettres, deuxième porte, pied sur l'escalier "Juste ciel, Chamade !" Une demi-seconde de stupéfaction... bien noir effectivement, mais trop petit bien trop petit pour que ce soit elle.
Apeuré, collé contre la troisième marche, un tout petit chat noir me fixe de ses yeux jaunes.
Je fais quoi là !
Lentement je me penche, tends la main, il la sent longuement, toujours tapi, tremblotant, j'avance un peu, gratouille sa tête, m'enhardis, pose mon sac à main, caresse franchement, et lui, rampe vers cette main qui le rassure. ZUT de ZUT me voilà bien.
On reste un petit moment à se sentir, se papouiller, se regarder. C'est impossible que je fasse subir à Chamade
un nouvel intrus de la sorte. Comment est-il arrivé là ?
Maintenant je l'ai dans les bras, il ronronne comme un moteur, agrippé à ma poitrine, enfouissant sa tête dans mon cou. Devant notre porte, je sonne, G. m'ouvre, voit le chaton, s'exclame goguenard "Ah je savais bien que tu craquerais ! Quand on l'a vu tout à l'heure avec Papa, on s'est dit que tu ne pourrais t'empêcher de t'en occuper".
Ensemble on réfléchi à meilleure solution, il récupère mon sac à main, je vais aller sonner aux portes.
Etage après étage, je sonne, les portes s'ouvrent, les visages s'attendrissent, les mains caressent, mais non, ce n'est pas à nous, désolés, bonne chance.
En descendant je croise JP, les bras chargés de pain, que faire ? Assis sur les marches nous délibérons. Impossible de le ramener chez nous.
La mort dans l'âme, nous décidons de le laisser sur le palier, il n'ira pas bien loin.
G. vient aux nouvelles, ce chat grassouillet ne doit pas être depuis bien longtemps dehors, rien à voir avec
Moïse, et malgré l'échec de tout à l'heure, il est possible qu'il soit à quelqu'un de la maison, certaines portes sont restées fermées.
Vite je griffonne un mot sur trois bouts de papier, "un chaton noir se promène dans les escaliers", je vais les coller dans l'entrée et dans l'ascenseur. J'ouvre la porte, pffuittt il est entré, guilleret, ravi de l'aubaine. "C'est la maison du bonheur" rigole JP, et nous voilà à quatre pattes, tentant de l'attraper, Chamade aussitôt isolée dans une chambre. Le bougre n'a aucune envie de retrouver le palier, il sort ses griffes, crachouille, il nous faut un moment pour le capturer.
Les petits papiers collés, assise sur le canapé, et l'autre qui gratte gratte contre la porte, miaulant son désespoir d'être seul alors qu'il serait si bien chez nous.
JP râle, "Je ne vais encore pas dormir cette nuit" et les minutes longues longues passent, le chat miaulant grattant et Chamade postée devant la porte, attentive, la tête légèrement penchée.
De temps en temps on jette un oeil par le judas, surtout ne pas le nourrir, il faut qu'il miaule pour alerter ses probables maîtres qui n'ont pas dû s'apercevoir de son absence, mais le temps passe, lentement, et l'autre s'égosille de plus en plus fort derrière notre porte. Je suis incapable de faire autre chose que d'attendre, envisage d'appeler, si cela s'éternise, l'école du chat. Le temps passe, passe, passe...
Cela fait maintenant deux heures qu'il est là, grattant opiniâtrement la porte, Chamade résolument plantée là, vigie attentive, gardant son territoire. Et soudain, l'on entend des cris, une sorte de dégringolade affolée d'escalier, des exclamations joyeuses.
La jeune femme heureuse, serrant dans ses bras le chaton perdu, me dit qu'effectivement elle ne savait pas son chaton perdu, et que c'est le mot qui l'a averti.
Ouf ! Chamade peut reprendre sa sieste, JP prévoir une nuit tranquille, et moi enfin profiter de ma soirée !