mercredi 31 mars 2010

Et voilà ! Le Trente et Unième !!!

Elles habitaient dans l'appartement juste en dessous du nôtre, je prenais mon cartable, descendais un étage, sonnais... la porte s'ouvrait et une bouffée de vieux m'enveloppait... toujours !
Sans doute est-ce là que j'ai acquis cette capacité à mettre mon odorat au repos. Clic-clac, fermer l'arrière de mes narines.
Si j'avais pu, j'aurais également ordonné à ma vue de prendre des vacances. Elles sentaient la naphtaline, le rance, le pas aéré et vivaient dans une sorte de brocante où l'on n'aurait vendu que du moche, mais beaucoup beaucoup de moche.
Bonjour Valérie disait mademoiselle D'Zussy (on écrivait Zussy, mais nous prononcions je ne sais pourquoi D'zussy) - Parfois c'était la jeune mademoiselled'zussy, une jeune vieille avec son visage mou et son air niais, mais en général c'était la vieille mademoiselled'zussy plus sèche, plus ridée, le regard vif. C'était elle qui me faisait faire les devoirs, l'ancienne institutrice.

Elle me précédait, slalomant à travers le capharnaüm, jusqu'au secrétaire sur lequel elle me donnait ses cours. Je posais mes cahiers, mes livres, sortais ma trousse et pendant qu'elle taillait son crayon, sombrais dans l'habituelle torpeur qui me saisissait dès l'instant où il s'agissait de la chose scolaire.

C'est sûr, je devais être envoutée ou un truc comme ça ! J'avais beau essayer de secouer mon cerveau endormi, rien n'y faisait, dès que qui que ce soit tentait de m'éveiller à la chose scolaire, tous mes membres s'engourdissaient, une vibration bienfaisante m'invitait aux rêveries, et rien ne pouvait alors s'imprimer dans ma mémoire, j'étais loin si loin...

L'heure passait dans mon cocon. Sans doute devait-elle dire une phrase qui me sortait de ma léthargie, je m'ébrouais mentalement, pliais livres et cahiers, rangeais mes crayons, et tout en lui tendant la main reprenais vie. Guillerette je remontais l'escalier, l'esprit libre.

Un jour, alors que nous finissions ces fameux devoirs, elle me dit en souriant "Veux-tu que nous préparions un cadeau pour la fête des mères ?" et elle sortit d'un tiroir une merveille froufrouteuse, papier de soie rose, d'un kitch délicieux. Les yeux ronds, ébahie, je reposais mon sac, bien sûr que je voulais !
Alors, soir après soir, penchées sur notre ouvrage, délicatement froissions, découpions et collions, des roses aériennes. Le temps n'existait plus, l'odeur oubliée, le foutoir envolé, nous étions l'une et l'autre absorbées, confectionnant ensemble le plus beau cœur du monde sur lequel j'écrirais sans faute assurément, un poème d'amour à ma maman chérie !

Et de mes longues soirées, passées dans la pénombre, me restent ces instants, arrachés aux devoirs, illuminant un temps, le cauchemar répété !

mardi 30 mars 2010

Trente

Ma marraine m'avait offert pour mes huit ans, un livre de cuisine.
Nous adorions faire la cuisine !

Maman avait ses "Recettes faciles de Françoise Bernard", notre bible s'appellerait maintenant "La cuisine est un jeu d'enfant de Michel Oliver".
Depuis tout petit nous traînions à la cuisine, regardant maman préparer le repas. Touiller une béchamel jusqu'à ce qu'elle ait la bonne consistance, battre des blancs en neige et s'amuser à retourner le saladier épatés de ne voir rien tomber, trier les lentilles, peler les carottes... très tôt le virus nous avait saisi, mais ce livre là allait nous lancer pour de bon vers la piste aux étoiles Michelin !

Nous avions, sous l'œil vigilant maternel, élaboré notre toute première recette. Allumer le four, y poser un certain nombre de bananes, refermer le four, attendre vingt minutes, ouvrir le four, se munir de "bischeleu"(*) pour ne pas se brûler, poser les bananes sur des assiettes, retirer la peau du dessus et saupoudrer d'une cuillerée à café de sucre. Le dessert était près, bien évidemment délicieux !


Petit à petit nous nous étions enhardis. Après avoir reproduit la tasse étalon qui devait nous permettre de ne rien rater, nous nous étions attaqués au poulet au sel. Maman était revenue du marché avec un gros poulet et surtout des kilos de sel.
Le principe était simple, la recette encore plus. Il fallait dans un plat mettre deux tasses de gros sel, posez le poulet dessus, puis en verser tout autour six tasses. Six n'étant de loin pas suffisant, nous avions dû déverser plus de deux kilos jusqu'à recouvrir complètement notre volatile. Au four une heure et demi !
Toute la troupe attendait, à la sortie du four. A moi l'honneur, étant détentrice du savoir culinaire, de casser la fameuse croute. Poc poc, elle était partie en petit bout, laissant bien cachés dans les plis et replis, des grains de sel en quantité. Arghhh qu'il était salé !
Tout en savourant ce sel au poulet, nous avions longuement décortiqué le pourquoi et le comment de cette recette qui semblait pourtant si simple et qui aurait due être si délicieuse. Il fallait que nous retentions la chose en l'améliorant. H. proposa de mouiller légèrement le sel une fois disposé autour du poulet. Maman racheta donc un poulet, des kilos de sel, supervisa à nouveau la confection, et H. se chargea de briser la gangue. Rien n'y faisait, le sel nous asséchait la bouche.
Pourquoi, dit T., ne mélangerions nous pas le sel avec du blanc d'œuf ? Et revoilà maman achetant une volaille, du sel et cette fois-ci des œufs. Mélanger le sel au blanc d'oeuf cru ne fut pas si facile, loin de ce que l'on avait imaginé, la cuisine devenait lentement un vrai champ de bataille, mais bientôt la bête fut domptée, et sa sortie du four attendue par tous. Hélas !... Là encore, le sel supplantait tout !

Et si, suggéra papa, vous tentiez autre chose ? Ce livre recèle, à n'en pas douter, bien d'autres délicieuses recettes à découvrir !



(*) Bischeleu : vraisemblablement "petites poignées" - apparemment cela pourrait aussi dire petit coussin d'amour ou poignée d'amour :)

lundi 29 mars 2010

29

Mamie de Mulhouse avait deux magasins. Un place de la Réunion vraiment à elle, et un rue du Sauvage qu'elle avait presque donné au mari de sa fille, enfin c'est un peu ce que j'avais compris. On parlait "des" magasins de Mamie mais celui où nous serions sûrs de la trouver était sur la place.

J'étais intimidée lorsque nous passions la porte qui faisait tinter les petites clochettes, et la Mamie du magasin ne ressemblait pas du tout à celle qui venait à la maison. Elle faisait plus dame, ne parlait pas tout à fait de la même manière, mais son sourire lui était inchangé.

Il y avait la grande pièce, Le Magasin, qui donnait à l'extérieur. Avec les vitrines cachées par des sortes de paravents, où étaient exposés chapeaux et chemises. Tous le monde pouvait y entrer !
Il y avait aussi... le petit réduit où se travaillait les chapeaux, les réserves où étaient rangées par couleur, taille, forme, les chemises et les pulls, des casiers de bois montant jusqu'au plafond, aux sous-sols et à l'étage, et là, ce n'était pas tous le monde qui pouvait y aller... juste les vendeuses, Mamie et Nous !

Sur le petit palier, très sombre, seules les petites flammes bleues réchauffant la forme à chapeau donnaient de la lumière, parfois, lentement, un feutre prenait forme. Nous montions à l'étage, regardions un instant les gens déambulant sur cette place qui semblait bien plus grande vue de haut, maman choisissait une chemise, un pull, puis nous redescendions en faisant claquer nos semelles, maman payait, nous embrassions Mamie et repartions en courant.

Les jours de carnaval, lorsque nous n'étions pas au Birkenhof, nous allions dans l'autre magasin - C'est bien pour vous faire plaisir, disait papa.
Sur le chemin il s'arrêtait, achetait à chacun un énorme sac de confettis, un ou deux rouleaux de serpentins et lentement, fendant la foule, à la queue leu leu, nous traversions Mulhouse jusqu'à la rue du Sauvage. Je serais bien restée collée aux barrières, au milieu de cette foule bruyante qui riait déjà des quelques clowns présents, mais papa disait que l'on verrait mieux du balcon...
Derrière la porte vitrée, Mamie nous attendait, on grimpait à l'étage, vite, déjà surexcités des flonflons approchant. C'est vrai que l'on voyait tout, même l'intérieur de certains chars, et puis jeter d'en haut nos confettis multicolores nous amusait follement. Lorsque passait le gros souffleur, qui projetait ses milliers de bandelettes en papier blanc, nous poussions de grands cris, mais l'on savait aussi que la fin approchait.
Il fallait repartir, dans les rues qui lentement se vidaient et tout le long du chemin ramassions par poignée les confettis au sol. En rentrant, comme chaque année, nous referions carnaval. Notre public serait nos bêtes en peluches et nos chars faits de boites à chaussures décorées.

Longtemps après, Mamie et Maman trouveraient des confettis aux couleurs passées, en faisant le ménage.

dimanche 28 mars 2010

vingt huit...

Le Zoo de Mulhouse était un peu notre jardin, aux premiers beaux jours, maman nous cueillait à la sortie de l'école et nous partions pic-niquer en famille à l'ombre des flamands roses. A l'entrée, nous présentions notre "carte familiale" et dès le portillon passé, courrions à travers les allées de dahlias. Nous choisissions le banc où l'on poserait le panier rempli de sandwichs, en attrapions un, et filions voir les macaques. Ils étaient en semi liberté dans une grande fosse à ciel ouvert, et tout en mordant dans le pain frais, nous régalions de leurs jeux, leurs bagarres et leurs acrobaties.

Nous connaissions le moindre recoin, avions chacun nos animaux favoris. T. par exemple aimait les antilopes naines, H. rêvait devant les bisons, j'adorais les singes bien qu'il me fallait me boucher le nez avant d'entrer dans certains bâtiments. J. aimait les ours, mais les craignait, alors que notre petit frère était fasciné par les loups qui hurlaient en tendant leurs cous vers le ciel.

C'était notre zoo... Et le papa d'Hélène en était le directeur !

Certains jeudis, elle m'invitait, chez elle, dans mon zoo. Il me fallait grimper le boulevard Léon Gambetta, tout en haut, presque jusqu'au premier parking devant l'entrée principale. Un peu avant, cachée par les hauts arbres, se trouvait une grille, où je pouvais entrer, privilège des privilèges, sans présenter ma carte d'abonnement familial.
Elle venait m'ouvrir et nous nous enfoncions dans une sorte de jungle protégeant du regard des passants, sa maison.

La toute première fois, je me l'étais imaginée, vivant au milieu des chimpanzés et des oiseaux, un peu déçue de voir que sa maison ressemblait à n'importe quelle autre maison. Mais tout de même, y vivait là un tout petit fennec, orphelin. Il déboulait dans le séjour, ses immenses oreilles en éventail, malicieux, se jetait sur le biberon tendu, tétait goulûment et repartait dans ses folles galopades, libre comme l'air. Il y avait aussi, un perroquet se remettant d'une chute, qui loin de raconter sa vie, poussait de grands cris qui nous faisaient sursauter et rire.

Nous restions dans cette partie du zoo, interdite au public, loin des hululements des gibbons et feulements de fauve. Nous jouions simplement à l'école ou à la poupée.

J'aimais les deux côtés, celui des animaux et des grands espaces, et celui-là, intime, où vivaient protégés, quelques convalescents ou trop petit pour se débrouiller seuls.

Et le soir, lorsqu'à table je racontais les folles cabrioles du renard des sables, je voyais briller les yeux envieux, de tous mes frères et sœur, me gardant bien de dire que nous n'avions rien fait de plus que jouer simplement.


samedi 27 mars 2010

27

Des publicités elle en faisait des tableaux dans lesquels je me perdais des heures.

Minutieusement, elle prélevait avec ses ciseaux, un élément de la page. Souvent il semblait tellement insignifiant que nous ne comprenions pas le pourquoi de ce choix. Penchée sur sa feuille, elle tenait délicatement son si petit bout découpé, et patiemment cherchait l'endroit exact où il serait collé. Une fleur, un cahier, une commode... tout devenait évident dès l'instant où elle l'avait placé. Ses collages me fascinaient.

Rien ne nous plaisait plus que d'y participer. Elle feuilletait longuement, cherchant dans les pages colorées ce que nous pourrions découper sans trop de difficulté. Il fallait être précis dans nos gestes et nous mettions toute notre attention pour suivre exactement les contours de l'objet désigné. Mais quel plaisir une fois celui-ci retiré de sa gangue plate, de voir maman s'en saisir et rechercher où il terminerait sa vie.

Parfois elle restait des heures, assise, découpant sans un mot, accompagnée par Mozart ou Bartok. Mais elle pouvait aussi, alors qu'elle s'était arrêtée un instant devant le tableau inachevé, décoller délicatement un objet, chercher en le faisant survoler au ras de ses congénères l'endroit où réellement il deviendrait indispensable pour l'équilibre final, et repartir aussi vite pour laver une salade, ou ranger le linge juste repassé.

Un jour elle le décidait terminé. Alors, l'un après l'autre venions nous extasier, très fiers d'avoir, même infimement, participé a cette œuvre.

Du plus loin que je me souvienne, je l'ai toujours vue créer.

vendredi 26 mars 2010

26

J'approchais leurs museaux frémissants de mes yeux et sentais frissonner leurs chatouilleuses moustaches, c'était mes petits amours, ils savaient tout de ma vie.

Nous leur avions construit un paradis de tourbe et de branchages. Trois aquariums, collés les uns aux autres, emplis aux trois quart de cette tourbe brun chaud, légère et parfumée, surmontées par deux cloches de grillage, reliées par un petit couloir. Le fouillis des branches tordues leur procurait un terrain de jeux sans cesse renouvelé.

Ils dormaient le jour, trafiquaient la nuit, rongeant, creusant des galeries qui accueilleraient leurs portées, faisaient les acrobates en se pendant d'une patte pour se laisser tomber et courir comme des fous, empruntant à toute allure le petit tunnel de grillage, je ne me lassais pas de les regarder.
Et, lorsque me venait l'envie impérieuse d'embrasser l'un d'eux, il me suffisait d'ouvrir la petite trappe et d'y plonger ma main pour que Mélanie, Edouard ou Léopold, viennent avec délicatesse renifler ma paume. Alors, refermant doucement ma main sur ces petits corps vibrants, je les sortais lentement et les couvrais de baisers.

Attentive je guettais le ventre rond. Il fallait, juste avant qu'elle ne mette bas, l'isoler des deux mâles afin qu'ils ne se jettent pas sur leur progéniture.
La première fois, ignorante de ces risques, j'avais laissé la famille ensemble, et, horrifiée, avais découvert quelques jours après la naissance, trois des cinq petits, vivant encore, à moitié dévorés. Un cauchemar que plus jamais je ne voulais affronter.

T., toujours aussi inventif, avait imaginé alors ce système de deux cloches de grillage reliées par ce tunnel que l'on fermait dès la naissance programmée. Les mâles d'un côté, la femelle et ses petits de l'autre.

Nous voyions les galeries, creusées contre la vitre. Mélanie en boule, protégeant ses petits trucs roses aux gros yeux grisâtres sans paupières qui s'enfouissaient sous son ventre pour y boire le lait. Les voir se transformer en minuscules hamsters aux délicates oreilles me comblait de bonheur. Une à une mes amies venaient s'attendrir sur leurs futurs compagnons.
Je les aurais gardés tous, pour cela il m'eut fallu des dizaines d'aquariums.

Un jour, une grosseur apparue sur son cou. Tumeur maligne qui me l'enlèverait rapidement.

Je pleurais des jours, croyant que plus jamais le soleil ne brillerait...

jeudi 25 mars 2010

25

Ah ça ! Pour sentir mauvais il sentait mauvais !

Cela faisait des heures qu'il brayait dans son lit, dégageant cette odeur pestilentielle, et nous attendions avec impatience le retour de papa et maman.
Pfff, impossible de jouer tranquillement, l'entendre pleurer et le voir rouge brique nous implorer de son regard, nous fendait littéralement le cœur.
Alors, H. prit les choses en main ! Après tout c'était l'aîné, il allait bientôt avoir dix ans. " Nous allons le changer !"
A quatre nous y arriverions bien, il suffirait de faire comme maman.

D'abord un tabouret que l'on pose devant la machine à laver, comme cela H. pourra être à bonne hauteur. Ensuite des pinces à linge, c'est T. qui a eu l'idée, et nous voilà chacun munis de l'objet pincé sur le nez pour nous éviter de subir l'odeur qui sera, à n'en pas douter, encore plus irrespirable dès la couche retirée. Le matelas, la serviette éponge, deux grandes couches en tissus, un rectangle de coton tout doux, le talc et le lait pour nettoyer... Ok ! Parés pour l'opération !
H. que nous suivons, très excités, s'avance vers le berceau. Notre petit frère arrête ses hurlements, nous regarde stupéfait et d'un coup s'illumine, tout sourit, les yeux, la bouche et même les mains qu'il agite de bonheur. Ces pinces à linge sont magiques !
H. se penche et doucement le prend serré contre lui, le petit ne dit plus rien, attentif à cette chose incroyable, un troupeau de frères et sœurs, tous seuls...
Précautionneusement nous repartons vers la salle de bain... monter la fameuse marche... grimper sur le tabouret de bois... bien poser le petit, qui, de chaque côté est gardé par ses deux sentinelles de sœurs. T. sera le relais entre le lavabo, la machine à laver, et la poubelle.

Premièrement, retirer les pinces à nourrice, J. s'en empare et les gardera dans sa main. Défaire le premier triangle de tissus... "Valérie tiens-lui les jambes en l'air pour qu'il ne bouge pas ! " J'ai cherché une chaise, et surplombe la scène - Ouh là j'ai une sorte de haut le cœur, tourner la tête, me plonger dans les yeux de mon si petit frère qui semble adorer notre initiative.
Les fesses sont totalement libres et H., avec un énorme morceau de coton qu'il a noyé dans le lait de toilette, les nettoie consciencieusement. Il n'oublie aucun pli, je tiens fermement les jambes, J. a posé sa main sur le petit ventre rond et si doux. T. a jeté tout ce qui sentait mauvais, nous pouvons enfin retirer nos pinces qui commençaient sérieusement à nous faire mal.
Ah, l'odeur est à nouveau agréable, parfum de lait, de talc que H. a généreusement saupoudré et il suffit maintenant de remettre des langes immaculés.
T. a plié le gigantesque carré, pour en faire un triangle que l'on glisse sous les fesses relevées, puis un lange plié en longueur, une cotocouche... bien mettre le zizi en bas... et l'une après l'autre les couches sont refermées, exactement comme maman le fait !
Il ne reste plus qu'à enfiler la grenouillère rouge, tendrement H. cueille le petit, redescend du tabouret, de la marche en bois, et nous repartons tous ensemble coucher notre chéri.

Pour être fiers nous le sommes et pas qu'un peu !

Maman a à peine franchi la porte, que nous nous précipitons pour lui raconter l'aventure.

Mais... pas sûr que nous la réitérerons... Parce qu'il faut l'avouer, l'odeur, franchement, c'était insupportable !

mercredi 24 mars 2010

24

Elle en avait vu tant, de salles d'attente miteuses aux magazines délabrés et si anciens que l'on se demandait si un être vivant exerçait encore dans le cabinet, qu'elle avait décidé que jamais, au grand jamais la nôtre ne serait délaissée.

La première était spacieuse, aux murs blancs ornés de tableaux, moquette rase grise, des chaises achetées comme tous nos meubles d'alors chez des brocanteurs que maman écumait. Au centre une table basse, lourde, en bois épais et les magazines renouvelés chaque semaine. Juste à côté les fameuses toilettes chics dont les murs étaient tapissés d'un gros cannage doré sur fond noir, moquette épaisse d'un noir brillant. Juste à côté du petit lavabo un collages de maman, qui disait que c'était l'endroit idéal pour s'y plonger des heures à rechercher les multiples détails.

Bien avant que papa fasse transpercer le mur donnant sur l'appartement qui viendrait prolonger le nôtre, nous vivions dans la partie droite séparée par une porte vitrée. Il y avait donc d'un côté le bureau, la salle d'attente, le salon chambre à coucher des parents, la grande salle de séjour. De l'autre, nos trois chambres, la cuisine et la salle de bain surélevée, protégées des regards curieux des "malades".
A tour de rôle nous ouvrions la porte aux patients. Nous avions tous été brifés ; "Lorsque vous entendez sonner, mettez vous bien en face de la porte, ouvrez en faisant un sourire et dites "Bonjour Madame (Mademoiselle, Monsieur), donnez vous la peine d'entrer", un pas en arrière tout en tenant la porte, du bras gauche vous ferez un geste gracieux, demi cercle un peu lent, pour les inviter à entrer. "La salle d'attente est par-ici" direz-vous, puis vous les précéderez afin de les conduire toujours souriants, "Le docteur vous recevra dans un instant".

Et voilà, pas plus compliqué que cela. Nous repartions en courant dans nos chambres.

Les malades de papa n'avaient jamais l'air malades, parfois un regard un peu bizarre. Papa était docteur, il avait bien essayé de nous expliquer de quoi, franchement tout ce que l'on avait retenu, c'était qu'il valait mieux ne pas trop en parler à l'extérieur. Tout cela était mystérieux, mais tout de même nous étions très fiers d'avoir un papa si spécial que pleins de gens venaient voir, et qui faisait le soir des conférences. Ce n'était pas un docteur qui donnait des médicaments, il écoutait les gens, et tous le monde le regardait avec admiration... et nous, nous étions ses enfants !

Nous, par exemple, nous pouvions aller dans son bureau le soir. Il suffisait de frapper doucement, il disait "entrez" et nous glissions nos têtes par l'entrebâillement. Assis dans son grand fauteuil en cuir, penché sur son large bureau en bois sombre, la lampe éclairant d'une lumière douce la pièce, il relevait la tête, nous souriait "Oui ?". Nous étions pétrifiés de timidité, qu'il était beau !

Ah ce papa ! Normal que le monde entier voulait le rencontrer, il était certes impressionnant, mais vraiment de tous les papas du monde, c'était bien le nôtre le plus extraordinaire !

mardi 23 mars 2010

vingt trois.

Haha ! Ces trucs qu'elle faisait avec l'UFCS commençaient à devenir intéressants. Elle était revenue les bras chargées de magazines féminins, des magazines qui jamais n'avaient mis les pieds chez nous, rien qu'à regarder les couvertures, J. et moi bavions de plaisir.
Apparemment les femmes étaient opprimées, mal considérées... certes certes, qu'importait vraiment la raison de ses enquêtes, celle-ci nous convenait parfaitement, et nous étions tout à fait prêtes à aider maman pour qu'elle la réussisse, nous y mettrions le temps qu'il faudrait.

Une fois par semaine elles se réunissaient entre-elles, dans le grand séjour qui bruissait alors de rire, d'éclats de voix, de froissement de papier, tout cela dans des parfums de thé à la bergamote et de cake à la noisette, le fameux cake de maman. Le combat pour la liberté des femmes semblait très joyeux et maintenant, en plus, extraordinairement passionnant !
La veille elle nous avait prévenus - "Nous faisons une enquête sur les publicités dans les magazines, je suis chargée des féminins, vous m'aiderez. Il va falloir compter le nombre de page de publicité dans chacun."
Ah ça ! Pour être volontaire nous n'avons pas hésité une seconde, même les garçons étaient partants. Et nous ferions cela avec application, plutôt deux fois qu'une, elle pouvait compter sur notre professionnalisme !

Elle avait tenu parole, des magazines à profusion, remplis de publicités mais aussi de photos de mode, de stars, de potins incroyables. Nous dévorions, tout en poussant de grands cris indignés.
- Mais c'est fou maman, toutes ces pages de publicité, comment des femmes peuvent-elles se laisser avoir comme ça ?
- Il y en a plus que d'article ! Mais c'est vraiment du vol ! disais-je tout en me délectant de ce que j'allais pouvoir, une fois le travail accompli, lire en cachette.

Nous comptions, recomptions, vérifiions. H. tenait minutieusement les comptes, maman supervisait ravie de voir sa troupe si impliquée. On arrachait minutieusement les pages dont le recto et le verso n'étaient que pub, les magazines se réduisant à peau de chagrin.

La démonstration était sans appel, et malgré notre fascination pour ce monde froufrouteux, la leçon entrait dans nos têtes. Le soir, à table, nous parlerions longtemps de ce qui pour nous devenait du vol...

... et, sous les couvertures, armée de ma lampe de poche, juste avant de m'endormir, plongeais une dernière fois dans ces quelques pages sauvées de notre carnage.

lundi 22 mars 2010

22

Assis autour de la table ronde, sur les bancs collés au mur, nous avions devant nous, chacun, un petit tas d'airelles qu'il nous fallait trier. D'un doigt nous faisions rouler une baie qui atterrissait dans notre paume. Puis, lorsque nous en avions une poignée, nous la jetions dans le saladier posé au milieu de la table. Trier son petit tas, jeter les feuilles et brindilles dans la poubelle, prélever un autre petit tas, à cinq cela allait très vite.
Maman sortait le pèse-bébé, posait un torchon propre sur la nacelle en aluminium et versait précautionneusement le fruit de notre récolte prêt à être cuit. Elle annonçait un poids qui nous faisait à chaque fois pousser de grands cris de satisfaction. Voilà ! Notre devoir accompli, nous pouvions maintenant nous reposer et regarder l'opération confiture.
Un kilos de fruit pour sept cent gramme de sucre.
Elle posait la grosse bassine en cuivre sur le feu tout doux, y versait en cascade la pluie de baies rouges et juste un peu d'eau. Elle remuait doucement, recouvrait du sucre blanc qui lentement prenait une couleur rosée.
Les airelles mijotaient dans leur sirop sucré, maman rinçait à l'eau bouillante les pots de verre qu'elle posait un à un, à l'envers sur les torchons immaculés "N'y toucher surtout pas !" Il s'agissait là d'une opération importante, tuer tous risques de moisissure qui gâcherait nos futurs petits déjeuner.
Armée d'une cuillère en bois au long manche, elle retirait délicatement, la mousse sucrée qui se formait sur la masse bouillonnante. L'un après l'autre, nous avions le droit de goûter ce qui pour nous était sans doute le meilleur de la fabrication, juste un peu de mousse sur un bout de pain et le paradis entr'ouvrait ses portes.
Et puis, après ce qui semblait des heures interminables, la confiture était enfin prête à être versée dans les pots, brûlante, translucide, elle embaumait tout l'appartement.
L'un après l'autre maman remplissait l'armée de verre qu'elle recouvrait d'un fin carré de papier cristal bien tendu et d'un geste sûr le maintenait par un petit élastique coloré.
Il fallait encore arrondir joliment ces couvercles transparents, et poser les étiquettes où papa avait, de sa si jolie écriture, marqué le fruit et la date de fabrication.
Interdit d'y toucher tant que les pots ne seraient pas totalement refroidis.

Ah ! Tout ce travail valait vraiment la peine !
Dimanche prochain nous aurions au petit déjeuner la meilleure confiture du monde !

dimanche 21 mars 2010

un peu après midi

Cette fois-ci nous y allons en famille, JP a mis son tee shirt Yes we can que C. lui a rapporté de Washington, G. râle en jetant un regard dans le grand miroir du hall d'entrée, "C'est pas vrai, mes cheveux ont bouffé le gel !".
Il ne pleut plus, l'air est doux, printanier malgré tout, et nous croisons notre voisine toute pimpante qui revient du bureau de vote. Elle clopine "Ah cette fois-ci j'y suis allée". Elle va vers ses quatre vingt dix ans, coquette elle est maquillée, a mis une belle veste, et sans doute était-elle hier chez le coiffeur. Pour qui a t-elle voté ? Le FN ou l'UMP sans hésitation, mais je suis heureuse de la voir trottiner.
G. se moque tout au long du chemin, de son père. Lui, fait mine de se vexer, mais il est ravi, c'est lui qui a la procuration de sa fille.
Elle est à Lyon, pour un entretien d'embauche dont elle a eu hier soir le résultat, elle sera pendant au moins six mois à nouveau lyonnaise, et ce soir elle fera la fête avec ses amis verts.

Au bureau de vote l'ambiance est bon enfant. On bavarde, on rigole, on espère qu'Obama arrivera à faire passer sa loi sur la réforme de la santé. "Si elle passe cela nous fera deux bonnes raisons de faire la fête" - trois plutôt ! dis-je, puisque C. est embauchée - Nous votons dans l'ancienne école maternelle des enfants, nous nous connaissons tous. Carte tamponnée, nous ressortons, le soleil tente une percée. Un petit tour à la boulangerie, tous les trois, C. appelle "Pas de souci, tu as voté" elle est sous une averse place des Terreaux, au loin une fanfare accompagne notre conversation, rassurée elle dit combien elle se sent enfin légère, pleine d'envie, prête à franchir les montagnes.

A la maison le poulet embaume dès la porte ouverte, Chamade nous attend, impatiente, et se roule de bonheur en retrouvant son chéri.

Ce soir je repasserai en regardant les résultats et la mine sans doute déconfite de ceux qui nous gouvernent.

Il faut aller lire le très beau billet de Gilsoub d'aujourd'hui.

21... un instant de poésie

Tout au début nous en avions deux, les troisièmes n'ont jamais vraiment fait partie de nos habitudes. Toutefois, je les ai fréquentées après mon exil à l'autre bout de l'appartement et seulement lorsque les consultations étaient terminées.
Les plus courues étaient situées dans la salle de bain.
Gigantesque salle de bain, curieusement surélevée par rapport au reste de l'appartement. Une vraie marche, haute, en bois, qui, lorsque nous étions petit nous servait de siège pour bavarder avec maman quand elle se maquillait avant de sortir. Le sol était carrelée de toute petites faïences grises et bleues, légèrement en pente en son centre où une grille permettait à l'eau débordante de s'écouler sans dommage. Une grande baignoire à gauche, une machine à laver à droite, le fond était séparé en deux, d'un côté deux grands lavabo en grès émaillé blanc, sur pied octogonal, éclairés par la lumière de la cour pavée. De l'autre, le cabinet de toilette, petite pièce dans la pièce !
Nous aimions nous y attarder, protégé du bruit familial, surtout si nous avions pensé à fermer la porte de la salle de bain, juste avant d'y aller, et prendre une bande dessinée ou un livre. Avec un peu de chance, personne ne viendrait durant quelques minutes.
En été le soleil pénétrant par la fenêtre au verre cathédrale nous réchauffait agréablement le dos, en hiver le siège était glacé et il fallait une seconde de courage pour y déposer nos augustes derrières.
Maman, pour notre culture, scotchait sur le mur un poster. Un mois nous avions droit aux espèces de papillons d'Europe - j'aimais particulièrement le citron, puis les divers champignons - Ahh le phallus impudicus nous en avons fait des gorges chaudes, ou les fleurs des champs - combien je trouvais belles les caltha !
Le temps passait doucement, rêver, lire, apprendre... mais il y avait toujours un moment où l'on venait frapper à la porte, il fallait sortir de l'engourdissement, reprendre pied dans la vie familiale, s'essuyer les fesses, et tirer sur la grosse chaîne terminée par une poignée en porcelaine. Le réservoir surplombant la scène se vidait dans un grand bruit de cataracte, on entr'ouvrait la fenêtre et sortions en grommelant "Tu ne pouvais pas aller dans les toilettes chics ?"
Mais non ! C'étaient vraiment celles-là où nous étions le mieux !

samedi 20 mars 2010

20...

Les parents étaient à Mulhouse, grand père et grand'mère nous gardaient, tous les cinq, nous étions libres.

A midi nous faisions souvent des barbequious "N'oubliez pas la salade disait maman avant de partir". H. sous l'oeil vigilant de grand père, sortait le gros sac de charbon de bois, et méthodiquement, préparait les braises. Il déposait quelques sarments de vigne pour donner un bon goût à nos saucisses et nos côtelettes. Avec grand'mère, nous lavions la salade, équeutions les tomates, préparions la vinaigrette "deux cuillerées de vinaigre pour une d'huile, c'est bien meilleur disait maman, meilleur pour votre santé" Ahh la santé ! Grand'mère soupirait... "Rajoute un p'tit peu d'huile !".
Mhmm ce goût de l'interdit.

La table mise dehors, en plein milieu du jardin, l'herbe douce sous nos pieds nus, grand père déployait le parasol, ensemble nous mettions le couvert, doucement sur la grille cuisait notre repas.
On se levait, choisissait nos grillades, posions quelques tomates, un bout de pain, on se racontait nos histoires, on était drôlement bien.
Parfois une vache venait nous guigner, broutant en soufflant fort et nous arrachions quelques touffes d'herbe que nous passions à travers le grillage. Le soleil cuisait nos dos, chauffait nos bras, et petit à petit nous abandonnions la table.
Grand père allait s'allonger à l'ombre dans un transat, le chapeau incliné lui protégeant les yeux. Grand'mère était remontée à la cuisine, les garçons repartis dans le grenier pour y continuer leurs expériences explosives.
J. et moi, gourmandes, nous coupions une dernière tranche de pain épaisse, bien épaisse. Les braises étaient mourantes, juste parfaites pour blondir lentement notre tartine secrète. Armées de la plaque de beurre et d'un couteau oublié sur la table, nous beurrions un côté, reposions la tranche sur la grille, beurrions à nouveau, tournions et retournions cette tranche qui devenait translucide d'être beurrée et rebeurrée. Elle croustillait sur les braises, et nous trépignions de plaisir, reculant le moment où nous croquerions dans ce délice absolument interdit et divinement fondant.
Enfin, n'en pouvant plus, nous emparions de ce buvard de beurre, et mordions, fermant les yeux, dans ce pain délicieux qui coulait sur nos ventre, nous jurant l'une et l'autre de ne jamais jamais en parler à maman !

vendredi 19 mars 2010

Et de dix neuf... on avance !

Certains dimanches nous partions à la cueillette aux airelles.
Maman choisissait des petits teupeurouères, un grand saladier où nous viderions notre cueillette régulièrement, vérifiait que nous avions tous un gilet aucas'ou et, en général sous le soleil, nous partions pour la journée, le pique nique bien emballé dans son panier d'osier.
On montait, montait le long des routes bordées d'épicéas, J. faisait des grands ouuhh dans les virages, le nez collé à la fente de la vitre, ça piapiatait fort à l'arrière, on se réjouissait toujours.
Ahhhh l'odeur de la mousse des forêts, de la terre chaude, on sortait comme des bombes de la voiture, et courions en écartant les bras.
Les enfants ! N'oubliez pas vos gilets !
Un a un elle distribuait les gobelets - Alors souvenez-vous, ne prenez que des baies rouges, une à une, sans feuille. Cela simplifiera l'opération du tri !

Il fallait tout d'abord les trouver ces airelles discrètes, habituer nos yeux comme pour les champignons. Elles se cachaient sous leur petites feuilles vertes, mais une fois repérées, l'un après l'autre nous nous accroupissions et grain après grain les déposions dans nos récipients. Ploc ploc, elles étaient fermes, rien à voir avec les myrtilles et leurs collerettes en cuvette, voisines bienveillantes qui coloraient nos langues d'un bleu extra terrestre. Lentement les gobelets se remplissaient et nous allions un à un les vider dans le grand saladier, toujours un peu déçu de ne pas voir la différence entre avant et après notre contribution. De temps en temps maman nous rappelait - Pas de feuilles les enfants, faites attention, juste les baies mûres ! Et nous cueillions, cueillions, le dos courbé. J'imaginais des histoires, regardant courir sur la mousse les fourmis, de tout petits bonshommes qui vivraient là cachés, et je faisais rouler une à une les baies dans le creux de ma paume, humant l'air enchanté.

Lorsque nous avions ratissé l'endroit, que le saladier regorgeait, vers midi, c'était l'heure de manger. Nous aimions constater, en brassant de nos mains, la récolte des baies, et puis nous asseyions sur la couverture dépliée, chacun prenant une assiette, des couverts et son gobelet, nous servions de salade, de jambon, et de pain.

Qu'il était bon de se sustenter après un tel travail !

jeudi 18 mars 2010

Dix huit

Si je n'avais pas eu peur qu'il lise à l'intérieur de ma tête, assis sur son nuage, je crois bien que j'aurais pensé que "franchement ça gâchait quand même un peu le week-end !"
Parce qu'au début de ma vie, non seulement on ne pouvait y aller que le dimanche, mais en plus il fallait avoir le ventre vide, tout ça pour être assis des heures sur un banc qui faisait mal aux fesses tellement il était dur.
En famille, sagement, on suivait papa, et nos pas résonnaient sur le sol. L'un derrière l'autre, dans l'allée centrale sauf si l'on était en retard, alors là on marchait tous sur la pointe des pieds, le dos un peu courbé pour qu'ils ne nous repère pas. Papa aimait bien être devant, moi plus j'étais près de la grosse porte en bois sculptée, plus j'avais l'impression que l'on pourrait filer dès la fin de la torture.
Hop hop hop hop on se glissait sur le banc et l'attente commençait.
Regarder en l'air les voutes dont les pierres se rejoignaient au centre donnant le vertige, ou juste dessous, le chemin de croix, avec ce pauvre Jésus que sa mère pleurait, serrant si fort les mains, brrrr des frissons de tristesse pendant que le soleil faisait jouer sur les bancs et les colonnes les couleurs des vitraux.
Enfin le prêtre arrivait et tous le monde se levait en faisait craquer fort le bois dur.
Lever, assis, lever, assis ! Parfois l'engourdissement me faisait somnoler et je me levais en retard, oups vite ! On répétait sagement des trucs incompréhensibles mais aussi, nous chantions ! Et là, brusquement j'oubliais mon ennui, je me levais bien droite, sentant les frissons lentement m'envahir, je chantais. Même les tout petits bouts de chansons, les amen, les et avec votre (ou notre ?) esprit, les petits trucs pour répondre au bargouilli du prêtre, tout me sortait de ma léthargie.
Il y en avait un que j'aimais par dessus tout, qui me donnait envie de pleurer de bonheur, me transportait au delà de tout, qui me faisait aimer la messe, les hommes, la vie...
La quintessence du chant religieux !



J'y mettais toute mon âme... J'aurais tant voulu retenir le temps...

mercredi 17 mars 2010

17 !

Il revenait de la pâtisserie tenant délicatement par la ficelle le carton blanc. D'un mouvement d'épaule il dégageait sa manche droite puis la gauche, la ficelle et le carton changeant alors de main. Le pardessus accroché au grand porte-manteaux, il allait cacher notre dessert tout au fond du réfrigérateur.
Il avait l'air gourmand de celui qui vient de faire une farce, et nous adorions quand tout à coup, il laissait percer un éclat d'enfance dans son regard si plein de force.
Lorsqu'arrivait la fin du repas, les deux aînés se chargeaient de la préparation de ces exceptionnelles gâteries, et nous débarrassions la table afin de la rendre accueillante et propre. Nous enlevions les miettes, lissions le tissu de la nappe, plus de sel ni de poivre, c'est tout juste si nous ne repliions pas les serviettes à côté des assiettes à dessert.
H. criait du fond de l'appartement, "Vous êtes prêts ?"
Tenant haut le plat de porcelaine, ils arrivaient lentement, l'air gourmand, le posaient au milieu de cette table presque neuve.
Ah mon dieu que cela avait l'air bon, que le choix serait difficile.
Il y avait là des torches aux marrons, des tartelettes à la noix ou au citron, des mille feuilles recouverts de leur manteaux de sucre mou, zébré, si délicieux, des choux à la crème... frémissants nous attendions que nous soit donné l'autorisation de plonger nos mains dans cette caverne d'Ali baba.
J'aimais tout ! Décalotter le choux pour y plonger le doigt dans la crème fouettée épaisse et sucrée, dépiauter feuille à feuille - Y en avait-il réellement mille ? - le parallélépipède qui longtemps eu mes préférences, ou tenter de défaire la délicieuse bobine enchevêtrée de vermicelle que papa aimait tant. Et pourquoi pas, croquer dans la couche jaune d'or un peu ferme, sentir l'amertume du citron fondre sur la langue. Seul la tartelette aux noix me laissait de marbre, elle n'avait aucun charme, agaçait les dents, collait au palais.
Le choix fait, chacun ayant mesuré le désir de l'autre, l'un après l'autre nous emparions de nos dessert avec gourmandise, et savourions en silence religieux ce moment rare chargé d'interdit.

Maman nous regardait, son assiette vide... Elle était au régime !

mardi 16 mars 2010

Seize

A Altkirch, il y avait Aïa !

Elle était infirmière depuis toujours à l'hôpital Saint-Morand où vivait également un grand oncle, un peu mystérieux, que papa connaissait, que nous allions voir sans trop savoir vraiment pourquoi. Il était rigolo, un peu spécial, on l'appelait Gugucht et il riait toujours quand on arrivait.

Aïa c'était une tante grand mère. C'est à dire que maman l'appelait tante, mais qu'elle était un peu une grand'mère, enfin plutôt c'était la sœur de grand'mère.
Aïa on l'aimait beaucoup et elle nous chouchoutait toujours. Je crois qu'elle vivait dans cet hôpital, tous le monde la connaissait, je me demande si elle n'y était pas née, elle devait même un peu être chef.
On était super fiers parce qu'on pouvait aller dans les gros ascenseurs qui sentaient si bon la soupe. Elle appuyait sur un bouton, l'ascenseur arrivait, énorme, tout en fer, nous seuls pouvions y entrer, les gens qui venaient voir les malades n'en avaient pas le droit, et nous on faisait comme si c'était tout à fait normal qu'on y entre, oui oui, c'est un peu comme si on travaillait là.
Elle nous emmenait voir les autres infirmières qui prenaient leur repas dans une petite salle avec un gros INTERDIT, mais nous on y entrait.
Il y avait aussi une salle avec des étagères pleines de flacons en verre. Dans ces flacons il y avait des bébés pas finis qui nageaient dans un liquide jaune, c'était du formol avait dit papa. Certains avaient de grosses têtes et des yeux ouverts mais recouverts d'une peau transparente, d'autre n'avaient que de tout petits bras. Il y avait aussi des flacons avec des souris, c'était un peu un zoo mort. On avait des frissons quand on rentrait dans la pièce.

Dehors il y avait un grand jardin avec des allées pleines de gravillons. On promenait nos landaus avec nos poupées, et dans celui que maman poussait il y avait notre petit frère. On croisait des malades qui nous faisaient des sourires, et pleins d'infirmières avec leurs calots sur la tête et leurs si blanches blouses. Papa tenait le bras de Gugucht, de temps en temps il lui disait des mots en alsacien.

Un dimanche, Aïa a demandé à l'ambulancier s'il pouvait nous conduire à la messe. Il nous a embarqués tous les quatre et nous sommes arrivés devant l'église TOUS LE MONDE NOUS REGARDAIT ! On était tellement content et on riait de la bonne blague, parce que c'est sûr, ils devaient croire qu'on était malade... et non ! Évidemment cela aurait été encore mieux s'il avait mis le gyrophare et la sirène en route.

Aïa ne s'est jamais mariée parce qu'elle avait dû attendre que sa grande sœur soit mariée pour qu'elle puisse l'être aussi, mais sa grande sœur ne s'est jamais mariée et le fiancé d'Aïa en a eu marre d'attendre. Alors elle disait que c'était nous ses petits enfants, et nous on l'aimait, c'était notre Aïa !

lundi 15 mars 2010

Et de quinze !

Aïe, cela sentait le roussi, fermer les volets, chacun le sien, attraper nos cartables, vérifier que rien ne traine encore dans le jardin, eau fermée, s'engouffrer dans la voiture. Papa piaffe déjà moteur allumé, maman fait la voiture balai. Vite les enfants les bureaux de vote ferment à dix huit heures.
C'est bien parce que c'est une soirée d'élection que l'on quittait si tôt le Birkenhof, il faisait encore jour, nous n'avions pas eu tout notre content de liberté, mais, le devoir avant tout !

Personne sur la route, papa roule vite, c'est un peu juste dit-il, mais si on a une route dégagée comme cela jusqu'au bout, on arrivera à temps. A l'arrière discrètement on tente de pousser un peu le voisin, histoire d'avoir un peu plus de place pour étaler ses fesses, sans bruit pour ne pas énerver les parents. Les peaux sentent le foin, elles commencent à se hâler, demain il y a école et rien que cela me donne le cafard. Ça y est, J. nous refait le coup du "mal au cœur", juste pour pouvoir se coller à la vitre, elle tend son nez vers la fente ouverte, prend un air mourant, quelle chochotte ! De toute façon je suis comme toujours au milieu, comme cela je vois la route en glissant ma tête entre les sièges avant. T. est sur les genoux de H., bientôt nous aurons une voiture avec deux banquettes arrière, une 404 familiale moche, mais on aura de la place.

A Ilfurth il y a un stop, pas de voiture à droite, pas de voiture à gauche, papa s'arrête, rien de rien, on repart et là triiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit un agent, juste là ! Merde !
Papiers s'il vous plaît. Ah il ne faut pas être aveugle pour comprendre que papa n'aime pas les flics, vraiment pas. Et surtout qu'il est pressé, plus vite il pourra repartir, plus il a de chance d'arriver avant la fermeture des bureaux. Le flic se penche, regarde la marmaille muette les yeux ronds, regarde papa...

- Vous n'avez pas respecté les quatre secondes règlementaires à l'arrêt du stop.
- Je me suis arrêté, il n'y avait personne !
- Quatre secondes monsieur, c'est le temps exigé à un stop !
- Mais enfin, la route est droite, il n'y avait aucune voiture à l'horizon, je me suis arrêté.
- Quatre secondes, j'étais là, j'ai compté, vous n'êtes pas resté quatre seconde.
Je sens que papa est au bord du meurtre.
- Mais enfin c'est ridicule voyons. Comment pouvez-vous dire que je ne suis pas resté quatre secondes.
Lentement le flic sort de sa poche un carnet de PV. Nous sommes pétrifiés de peur. Papa va aller en prison c'est sûr, et surtout on va rater les élections.
- Attention Monsieur, n'aggravez pas votre cas !
Silence, il ne dit plus rien, il bout tout simplement. Maman s'est retournée, elle nous fait un petit sourire, chuuut.
Toujours très lentement, prendre son temps, savourer sa puissance, il détache la feuille, la tend à papa qui rageusement s'en empare, remercie ironiquement, nous pouvons repartir.

Dès que ce sagouin est hors de vue, papa accélère, peut être avec un peu de chance ?
Mais non ! Il ne votera pas cette fois-ci.

De toute façon nous perdrons les élections. Il a beau le savoir, il y croit chaque fois. Élections rime avec humeur de chien, et ambiance pourrie.
Il faudra attendre 81 pour qu'enfin ce soir là soit une soirée de liesse familiale... mais je ne serais plus là pour en profiter !

dimanche 14 mars 2010

Quatorze

Il posait le courrier sur la table, puis retirait son pardessus, posait ses clefs sur la commode et embrassait maman.
Témoignage Chrétien, des enveloppes de banques, le Monde et quelques pubs et une fois par semaine Tintin, Télérama, J2 Magasine, le Elle et... Jour de France, Ahhhh Jour de France !
C'était un abonnement gratuit, qui était destiné normalement aux salles d'attente des médecins, mais que mon père rageusement, mettait aussitôt dans le sac des papiers à descendre à la cave et qu'Emaus viendrait chercher dans quelques semaines.
J'attendais qu'il s'éloigne, et vite l'emportait dans ma chambre. Je savais exactement où je devais ouvrir la revue, Ah là là j'a-do-rais Kiraz ! Je rêvais d'être aussi chic, aussi fine, aussi parisienne que celles qu'il dessinait. Elles étaient pour moi l'idéal féminin, et j'aurais donné cher pour leur ressembler.
J'étudiais longuement leurs vêtements, leurs poses, je m'imaginais leurs vies, je les trouvais irrésistibles. Bien sûr je n'en parlais jamais. La seule fois où je m'étais extasiée devant maman, elle m'avait regardé stupéfaite, et d'un mot m'avait fait comprendre combien elle les trouvait vulgaires.
Vulgaires ? Ah bon ? Pourtant je les trouvais exactement à la mode, indépendantes et séduisantes, ô combien je rêvais de pouvoir mettre à mes pieds tous ces garçons qui me faisaient chavirer le cœur comme elles le faisaient si facilement.



Elle pouvait penser ce qu'elle voulait, maman, rien ne m'empêcherait de continuer à fantasmer sur ces si parfaites jeunes femmes !

samedi 13 mars 2010

Treizième

C'était ces beaux yeux doux, sombres presque noirs, ourlés de long cils, si joliment maquillés, qui me faisaient fondre d'amour. Tendrement je caressais le museau humide et froid, remontais doucement sur le front frisotté, les oreilles attentives. Nous nous regardions, yeux dans les yeux, j'approchais mon visage, humais son odeur de foin et de lait, baisais son pelage roux, je l'aimais.

Un matin enfin, j'avais eu le droit d'assister à un vêlage. Un des fils Hirshy était venu frapper à la porte, l'aurore à peine née, la vache mettait bas, il ne fallait pas traîner. Vite nous avions enfilé nos habits, finissant de boutonner nos chemises en courant à l'étable.
Y régnait un grand calme, la vache ne bougeait pas, René lui tapotait le flanc, l'encourageant de quelques mots, autour le troupeau ruminait, semblant comprendre ce besoin de silence. Un homme en blouse grise, s'affairait sans un mot, une corde posée à ses pieds.
Nous le connaissions bien, c'est lui qui enfonçait jusqu'aux coudes ses bras dans l'anus des vaches, en ressortait des kilos de bouses juste avant de les inséminer.
Le vétérinaire, qui serait l'accoucheur !

Puis la vache avait commencé à se balancer, sans beugler, juste cette impression que ce corps la gênait, René s'était reculé, nous nous étions fait tout petits, collés au mur, le souffle suspendu.
Deux sabots blancs, avaient pointé leur nez juste sous la queue dressée et immobile, les pattes étaient sorties lentement puis plus rien. Alors rapidement, sans parole inutile, ils avaient noué la corde sur ces pattes esseulées, avaient tiré avec force, et bloupppps il était sorti, petit veau flasque et blond, posé dans la paille fraîche.

Je n'avais pu quitter des yeux cette mère émerveillée, léchant consciencieusement son petit allongé. Puis je l'avais vu trembler sur ces pattes, se relever, et glisser sa tête sous le ventre maternel, allonger son museau, happer une mamelle, et boire goulûment le lait débordant de ses lèvres.

C'est à ce moment là que j'ai su qu'il serait, mon petit veau à moi, que j'aimerais d'amour !

vendredi 12 mars 2010

Douzième détail de mars

A la Migros de Porrentruy nous nous étions arrêtés devant le petit tourniquet rempli de sachets de graines.
La veille nous avions délimité pour chacun un petit lopin de terre qu'H. avait entouré avec une ficelle blanche, aux quatre coins tenue par un bâtonnet de bois bien droit. Nous en avions retiré un à un les cailloux, mauvaises herbes, petits détritus, pour en faire une terre meuble et accueillante.
Ce sera votre jardin avait dit maman, vous y planterez ce que vous voulez !
Et nous imaginions déjà des potagers luxuriants, dont nous régalerions au cours de repas pantagruélique, famille et amis.
Le Nôtre pouvait se rhabiller, nous avions devant nous de quoi transformer le plus simple bout de terre en jungle magnifique !
J. voulait des radis, mais des radis "rapides" dont elle aurait très vite de quoi décorer ses tartines, et puis quelques salades, pourquoi pas des patates et puis des haricots des... Attention dit maman, pensez que vos jardins ne sont pas gigantesques.
Les deux grands frères, cartésiens, lisaient chaque verso, calculant le temps qu'il faudrait pour savourer leurs travail.
J'étais côté des fleurs, je les aurais voulu toutes. De grandes ancolies, des lupins majestueux, des pois de senteur délicats et ces glaïeuls un peu présomptueux.
Bon les enfants ! Nous n'allons pas y rester des heures !
Hop hop, nous attrapons nos choix... allez j'aime aussi les radis.
La caissière lentement, tape chaque prix, nous payons un à un, fourrant au fond des poches, nos potagers divers.
A peine arrivés nous fonçons ventre à terre, planter nos graines sèches.
Les garçons tirent des cordeaux, ici leurs laitues, là bien sûr les radis, à gauche les ronds doux, à droite les long qui promettent d'être fort et parfumés, tous les cinq millimètres.
J. accroupie, rêve déjà, elle a planté ses graines, une à une, lentement, et avec l'arrosoir, goutte à goutte les cajole, pour qu'elles poussent vite, elle leur parle à voix basse.
J'ai tout foutu en vrac ! La main pleine de graines, j'ai semé mon carré, recouvrant presque tout, seul un coin reste vierge attendant mes radis. J'imagine ! Une jungle !

Nous quittons nos plantations, allons laver nos mains. Frottez frottez les ongles. C'est l'heure du repas !

Demain dès le réveil nous foncerons là bas, guettant la moindre pousse, bichonnant nos jardins.
Et cueillerons trop vite, nos radis riquiquis !

Mais plus aucun de nous ne pourra se passer, de plonger chaque année, ses doigts dans la terre fraîche !

jeudi 11 mars 2010

Onze

Je sentais bien que je l'agaçais, à pleurer sans bruit, enfermée dans ma chambre.
En ouvrant la porte il m'avait lancé un regard froid "Mais enfin, pourquoi pleures-tu ? Tu ne les connaissais même pas ! Allez vient à table, le repas est prêt." Il était reparti, son pas rapide dans le couloir, je devais sécher mes larmes, vite.
Le repas avalé, dents brossées, parents embrassés, enfouie sous les couvertures, les images folles dansaient devant mes yeux. Ils couraient dans tous sens, se bousculaient, tentaient de passer cet affreux tourniquets. J'étais avec eux, j'entendais leurs cris, je pleurais... et pensais à papa.
Il ne pouvait pas comprendre cet espèce de plaisir qu'il y avait a pleurer le malheur. Maintenant, les larmes inondant mes joues, la honte m'envahissait. Tu es malsaine alors ?
Depuis toujours les catastrophes me fascinaient, je les vivais, les malaxais, les étirais, chaque soir, enfin seule, dans mon lit, dans le noir, j'étais !
Combien de fois n'avais-je revécu la mort de Kennedy, ne m'étais-je enfoncée dans la jungle vietnamienne pour sauver les enfants, sorti d'une voiture en flamme l'homme de ma vie, frissonnante de plaisir ?
Là il y avait les images, ces ruines fumantes où ils avaient péri, ces parents effondrés.
Toute la France pleurait, pourquoi ne le pouvais-je ?

Allongée dans le noir, le plaisir envolé, la honte lentement effaçait mes exploits.

mercredi 10 mars 2010

Et de 10 !

A la fin de l'été, lorsque dansaient encore dans les rayons obliques éclairant notre chambre, les insectes dorés , venait le temps d'abandonner nos jeux, penser à la rentrer, vérifier nos cartables.
Gommes, crayons, plumes et portes-plumes, encre et cahiers et puis... le tablier!
Un beige, Un bleu. Que l'on porterait par roulement, une semaine bleue, l'autre serait beige.

Rue des Tanneurs, l'adresse était écrite tout en bas de la feuille. Quatre marches à descendre, la grande pièce en sous-sol aux murs couverts de casier de bois sombre, tous emplis de blouses, de couleurs pastelles. Maman enlevait lentement ses gants, doigts après doigts, étirait le cuir tranquillement, les posait dans son sac - Il me faudrait pour chacune, un tablier beige et un bleu, pour le collège Ste Ursule.
Très bien disait la dame, nous allons les toiser. Droite comme des i, nous nous collions contre le mur, fières déjà des centimètres gagnés.
- Alors pour la petite, nous prendrons taille 7, et la plus grande pourrait presque mettre du 9. Maman hochait la tête - Montrez moi vos modèles.
Il y avait celui en tergal, si facile à entretenir, un petit volant en bas, beige électrique - Non non disait maman, pas de tergal, froissant le tissus, le regard déjà posé sur le modèle suivant.
Ah ? Ce petit volant, il me plaisait à moi.
Vous avez celui-ci, tout coton, les fronces sont à la mode. - Non, non trop populaire.
J'aimais bien moi, le populaire !
J'ai encore ce modèle. Il rejoignait les autres sur le comptoir, d'un geste déplié - Se boutonne sur le côté, deux poches, très pratique, une excellente marque. - Les filles essayez le !
Une manche, l'autre, la dame reboutonnait un à un les boutons, se reculait d'un pas, penchait un peu la tête - Oui, c'est bien la bonne taille.
Maman nous regardait - Tournez vous - Et sagement nous tournions, tournions, tournions et soudain en riant, tournions comme des toupies, écartant grand les bras - Les Filles ! Encore un peu saoules, nous reprenions la pose - Je prendrai ces modèles, un de chaque s'il vous plaît, et un autre en bleu.
Du long porte-monnaie, mamans sortait un à un les billets, chacune dans ses bras, portait ses tabliers. Et nous sortions, remontant les marches, éblouies par le soleil qui ne pouvait entrer dans ce sous-sol froid, ravies de ce choix là, oubliant les frous-frous, les fronces et le Tergal.

Ce soir papa écrirait au crayon le prénom, puis le nom, juste au dessus du cœur. Et Maman choisirait, pour le bleu du mouliné beige et du bleu pour le beige. Petits point chaînette que nous regarderions fascinées, certaines d'être le grand jour, les plus jolies petites filles, au tablier si chic !

mardi 9 mars 2010

9ème

Le car nous déposait devant l'ancienne Bourse du travail, nuée de petites filles, bleu marine et blanc qui déboulaient en riant d'avoir été brinqueballées depuis le Naegeleberg.
Le béret posé légèrement en arrière, J. et moi rentrions heureuses de retrouver la maison. L'immeuble annulaire que nous coupions au centre, la rue Auguste W. puis le square Steinbach juste avant d'arriver.
On se donnait la main, marchant vite quand la nuit tombait, traînassant lorsque le printemps rallongeait les jours, cueillant les marrons tombés à l'automne. Des mamans promenaient lentement des landaus aux coques bleu sombre, juchées sur leur hauts talons, leurs ainés virevoltant autour des troncs d'arbre.


Tous les jours nous traversions le parc où parfois nous imaginions être surveillés par des monstres griffus. Alors nous nous mettions à courir, courir à perdre haleine, retenant le béret d'une main, le cartable tambourinant nos dos follement.

Un soir d'automne, alors que lentement nous marchions, devisant sagement, absorbées toutes entières par le délicat travail d'ouverture des bogues hérissons. Découvrant lentement les doux marrons brillants posés sur le velours pâle, apparut brusquement sous un grand cèdre un homme ! Immobile et sombre !

Monstre griffus !

Figées par la stupeur, muettes, nous regardions sa main qui semblait agiter une petite saucisse molle et rose, sortant de sa braguette.
Combien de temps restâmes-nous là, étonnées et légèrement dégoûtées ?
Quelques secondes à peine sans doute.
Main dans la main nous courûmes sans nous retourner jusqu'à la maison, grimpant à la volée les marches de bois cirées. Porte claquée, riant de notre peur "Papa, papa, y'a un monsieur qui nous a montré son zizi !"
Mais papa ne rit pas, il enfile son pardessus, "Où était-il ? Sous le grand cèdre ?" Il file le regard noir, claque fort la porte.
On se regarde, on ne rit plus.
Demain il nous conduira chez des policiers, on nous montrera des photos, mais on aura si peur que le monsieur nous tue, que l'on ne dira rien, rien de rien, on ne se rappellera même plus si l'on a vraiment vu ce petit machin rose et mou.

lundi 8 mars 2010

8ème

La voix éraillée provenait de la cour, mon cœur se serrait d'angoisse, toute la tristesse du monde qui venait bousculer ma vie si tranquille. Je serrais un peu plus fort ma poupée, la berçant tendrement, attendant que la voix se taise. Le chant aviné prenait de l'assurance, rebondissant sur les murs, s'infiltrait par la fenêtre.
Alors, lentement nous quittions nos jeux, nous approchant à pas de loup de la salle de bain, rasant les murs pour, sans qu'il nous voit, regarder l'homme qui chantait.
Très vite notre curiosité nous faisait oublier la discrétion, et, puisqu'il nous avait repéré, que son sourire nous avait rassuré, nous nous pressions, les mains agrippant tant bien que mal la grosse barre en fer peinte en vert qui protégeait les intrépides d'une chute mortelle.
Heureux de ce jeune public, il entonnait une autre chanson, s'arrêtant parfois pour ramasser un sou jeté d'une fenêtre voisine. Nous écoutions, fasciné, cet homme plein de voyages et de mystère.
Et puis maman venait, un petit paquet de papier contenant notre obole. Il fallait le lancer. Aucun de nous n'avait le courage de le faire, plus par honte que par timidité, alors à tour de rôle nous nous dévouions, bouleversés par cette misère qui nous faisait toucher du doigt la chance que nous avions.

dimanche 7 mars 2010

7ème...

Elle était posée entre le buffet à deux corps et la table demi-lune, dans un coin sur un tapis persan. Discrète, elle ne déployait ses deux antennes que le temps d'une émission ou d'un film, mais nous n'avions le droit de le faire qu'à bon escient, jamais sans avoir au préalable consulter Télérama. Il fallait, bien évidemment, que l'émission soit "Pour tous", nous étions encore loin de l'adolescence.
L'ordre émis dès l'arrivée de cet objet merveilleux que nous, tout au moins les enfants, attendions fébrilement, était qu'il serait strictement interdit de regarder ne serait ce qu'un épisode, tous feuilletons dévoreur de temps et de liberté.

Tous... sauf un !

Chaque soir, à la même heure, nous abandonnions brusquement nos activités, quelle qu'elles soient, pour nous précipiter devant l'écran magique. Vautrés sur les tapis, repoussant les chaises de la table, hilares à l'idée de retrouver nos idoles.
Papa se dépêchait de raccompagner son patient, et nous rejoignait le sourire en coin.
La courte séance quotidienne démarrait au son du plus mélodieux générique. Les Shadoks, nos complices, allaient encore nous enchanter par leur invraisemblable logique.
Nous pleurions de rire, tous les soirs, adorant les voir pomper, pondre, se battre contre les affreux Gibis. Nous vivions avec eux, nous étions eux.

Leurs devises étaient nôtres, et aujourd'hui encore, il n'est pas rare que nous en citions une, juste pour le plaisir d'évoquer ces moments de grâces familiales.

samedi 6 mars 2010

La photo de truc de Dr CaSo

Petite parenthèse

Il me fallait me plonger dans un livre perdu depuis longtemps, mais que petite je compulsais souvent. Je voulais vérifier deux trois trucs afin que mon billet du jour soit aussi exact que possible.
Après avoir fait les deux libraires de ma ville sans succès, j'ai pris JP sous le bras et nous sommes allés à Genève écumer les rayons de la FNAC, non sans nous être arrêtés au starbuck pour prendre un délicieux Caffè Latte.

L'œil aux aguets, je cherchais en même temps un "truc qui pique" pour pouvoir enfin, après de longues semaines de lâche abandon, participer au fameux "photo de truc" de Dr CaSo.
Et, juste avant que nous entrions dans le parking, il y avait ce restaurant japonais.
Voici donc le truc piquant, qui me permet de ne pas rentrer totalement bredouille, le livre n'étant, hélas, pas en stock.



Tant pis pour le billet, je me suis rabattue sur une page de mon journal.
J'ai largement le temps de passer la commande pour pouvoir avant la fin mars, écrire mon billet sans erreur !

6ème...

La lecture sera facilitée si vous cliquez sur la photo !
8 mars 1972 - journal de bord.

vendredi 5 mars 2010

5ème etc.

Nonchalante, je passais le Bissel. Il semblait faire ses allers retours un peu mou entre les chaises sans aide, mon bras devenu mécanique le guidant alors que je rêvais déjà, en chemise de nuit, statue sur le tapis, prête à plonger dans mon lit. A la salle de bain, J. et T., respectivement de corvée "mettre, et, débarrasser la table" se brossaient les dents, ne restait qu'H. qui, à la va-vite, remplissait le lave-vaisselle. Papa dans son bureau, s'attaquait à la paperasse tandis que maman bordait le petit dernier tout en lui racontant une histoire.

Soudain, dans ce lent assoupissement de la vie familiale, retenti une sirène, telle un grand loup hurlant sa peine par delà les toits de la ville. La première plainte figea l'ensemble familial. M'ébrouant de ma torpeur, je filai coller mon nez sur la vitre glacée, la rue endormie et noire ne laissait rien deviner du probable drame qui se jouait quelque part. Au galop les deux brossés dentaire m'avaient rejoint tandis que H. pointait son nez alors que la plainte s'était muée en une sorte de long hurlement modulé plein d'excitantes angoisses.
Papa sorti de son bureau surplombait maintenant l'ensemble réjouit et piaillant.

Au dessus des toits le ciel mouvant rougeoyait.

Alors arriva une chose incroyable, invraisemblable. Maintenant que même maman, s'était déplacée pour jeter un regard dans ce ciel plein d'étincelles, papa les yeux brillants dit : " Les enfants, allez vite vous habiller, nous allons voir ce qui se passe !".

A peine dit, comme une volée de pigeon nous étions dans nos chambres, nous jetant sur les vêtements du jour, plongeant sous le lit pour la chaussette égarée, vite vite, quelle histoire !
Une rapide inspection maternelle, et nous dévalions en riant les escaliers de bois, papa en éclaireur. Pouf pouf pouf pouf la grosse ariane avalait les quatre marmots, papa au volant mettait le contact, nous partions à l'aventure c'est sûr.
Comment a t-il su ? Comment savait-il où se diriger ? Mystère ! Mais en quelques instants nous étions devant le plus grand feu jamais vu. Il avait garé la voiture dans une rue minuscule, nous étions sortis en rang d'oignon, fébriles, nous tenant fermement la main. Il nous avait fait traverser la rue où ne se pressaient que des piétons, les gros camions rouges, à l'œuvre, stationnaient, une centaine de mètres sur la gauche.

C'était un gigantesque entrepôt de peinture qui fondait sous nos yeux. Collés à la palissade, le nez entre les planches, nous regardions fascinés les bidons exploser en gerbes galactiques. A tour de rôle, juchés sur les épaules du père, nous embrassions la scène , les joues chauffées par fournaise.

Et puis il avait fallu rentrer, sagement nous coucher, les yeux encore remplis des volutes dorées, ébahis par ce père que nous découvrions si proche de notre enfance.

jeudi 4 mars 2010

4ème détail du mois de...

On se voit jeudi soir à Connaissance du monde ? me chuchote t-il tendrement après m'avoir roulé une merveille de pelle, la toute première de ma vie. Au bord de l'évanouissement, encore vibrante de cet instant tant attendu je bégaie un petit oui, cherchant encore un instant le contact de son blouson de cuir si doux. Il fait affreusement froid, l'année nouvelle vient tout juste de débuter et je n'ai qu'une envie, prolonger encore et encore ce baiser tellement inespéré.
La tête légèrement penché, il me sourit, recule lentement, enfourche sa mobylette. Plantée sur le trottoir, grelottante d'émotion et de froid, je le regarde cliquer le démarreur, repartir dans le noir.
Légère je monte les marches en bois qui craquent, chantonnant dans ma tête "ça y est ça y est j'ai embrassé un garçon" et tout tout doucement glisse la clef dans la serrure, délicatement pousse la lourde porte de l'appartement.
Derrière, dans la pénombre, m'attendent les parents, droits comme la justice, le visage fermé, blêmes de rage. Je chute brutalement de mon nuage, je chute vraiment par la claque violente que mon père vient de m'asséner. "Putain" siffle t-il sous l'œil haineux de ma mère tout en me donnant un coup de pied qui me fait rouler de côté. Je suis hébétée, ils m'ont vue ?
On ne peut vraiment pas te faire confiance, rugit-il à voix basse, on t'avait dit minuit, il est une heure passée.
Je les hais, je les hais encore un peu plus si cela est possible. Minuit ! Minuit un jour de nouvel an, mais qu'est ce qu'ils sont cons !
Je me tais, j'attends que cela passe, assommée par ce "Putain" qui gâche un peu le baiser magique. Putain ? Mais il est fou c'est sûr !
Froidement je suis sommée d'aller dans ma chambre. Fini les sorties ! rage t-il. Ma mère me fusillant du regard n'a pas dit un mot.
Il va falloir ruser pour la séance de connaissance des arts !

Deux jours passent, bien campée dans mon nuage sur lequel je suis très vite remontée, je frissonne à l'idée de ce futur si proche. Tout à l'heure je serais assise à côté, contre, Michel Marie G., le grand amour de ma vie, le seul l'unique le merveilleux ! La caution culturelle de la séance a fait fléchir papa.
Devant le cinéma il est là, entouré de la bande du Mille Club, timidement je m'approche, il me sourit et d'un petit signe m'invite à le joindre. Il m'embrasse doucement d'un petit baiser sur le coin de la lèvre. Tous le monde est là, la salle vient d'ouvrir, en troupeau nous nous élançons bruyamment à la conquête des sièges. On chahute encore un peu, ne nous calmant qu'une fois les lumières éteintes.
Je suis à sa gauche, en attente, vibrante, il est là, juste à côté, je n'y crois pas.
Les premières images de plages, de palmiers, de rouleaux doux de mer, la voix raconte les îles, je n'attends qu'une chose, qu'il m'embrasse encore et encore. Mais il ne bouge pas, il écoute, il regarde. Je fixe l'écran, j'attends...

Et puis... des mouvements, furtifs... je tourne légèrement la tête... Vertige ! Il embrasse fougueusement sa voisine, celle de droite.
Je veux mourir !!

mercredi 3 mars 2010

3ème détail de mars

Il fallait qu'il soit ovale, ovale et plat. J'arpentais lentement cet endroit que je savais riche en choix, les yeux rivés au sol, lentement, pour ne pas le laisser, LES laisser passer.
"Les" parce qu'il m'en fallait deux, identiques en taille et surtout en hauteur. Deux petits galets ronds, d'environ cinq centimètres de longueur, deux trois de largeur et surtout, surtout, un à deux de hauteur. J'avançais pas à pas, les mains dans le dos, absorbée par ma recherche, me penchant un peu plus lorsque l'un deux approchait mes critères. D'une main je le cueillais, puis le caressait, douceur, taille, je scrutais ma trouvaille et si, une fois testé, il me convenait, ne me restait plus qu'à lui trouver son jumeau, glissant celui-ci dans la poche de ma robe légère.
Le soleil chauffait mes épaules déjà brunes, au loin des faneuses brassaient le foin, dans l'étable s'ébrouait en faisant cliquer la chaîne, une vache prête à vêler et qui n'avait pu se joindre au troupeau qui paissait dans l'herbe drue.
De temps en temps une voiture passait rapidement sur la route qui traversait toute droite le hameau, j'étais seule au monde dans mes rêves.

Et puis je trouvais le second galet, sosie de celui que je ressortais de ma poche. Je les regardais un instant, vérifiant leurs conformités avant de les plonger dans l'auge glacée afin d'y retirer toute trace de boue séchée. Ils s'assombrissaient brusquement, se veinant joliment, puis, une fois lavés, redevenaient gris pâle et doux.

Accroupie, soulevant mes talons pour laisser un espace entre eux et la semelle de mes sandales blanches, je glissais le doux caillou, le calant dans le creux qui semblait avoir été taillé pour cela. Je reposais délicatement le talon et me relevais doucement.

Et voilà !

Conquérante, juchée sur mes talons, je devenais "femme", magnifique et désirable !

mardi 2 mars 2010

2ème détail du mois de mars

Lorsqu'il est arrivé dans notre famille, cela devait faire déjà quelques années que nous tannions nos parents pour qu'ils acceptent d'adopter un animal un peu plus gros que les nombreux hamsters, salamandres, grenouilles, canaris, escargots, souris blanches, qui déjà peuplaient notre vie.
Il était à peine sevré, le laboratoire où il avait vu ses premiers jours, ne pouvait le garder plus longtemps et menaçait de mettre fin à ses jours. Pataud mais déjà très gourmand, il était devenu en quelques secondes le chéri absolu de toute la famille, ce qu'il avait trouvé, à le voir prendre possession de ce nouvel environnement, absolument naturel.
Il n'avait, contrairement à Chamade, pas de préféré, mais adaptait sa relation avec chacun de nous.
Ma soeur J. lui plaisait infiniment, du moins les longues chemises de nuit qu'elle revêtait qui faisait d'elle un attraction nocturne des plus jouissives. Il calait son derrière, la guettant dans le noir, et, lorsqu'elle passait telle une ombre au milieu de la nuit, affolé par le froufroutement du tissu, d'un bond se jetait sur le mollet tendre et ne lâchait plus prise. C'était toujours pour l'entendre pousser ce cri dont apparemment il raffolait, qu'il cachait dans son lit, des grenouilles tout juste attrapées. Mais cet idiot s'asseyait au pied de la cachette, oubliant que son air innocent et ravi avertirait l'heureuse élue du traquenard.

Ce fauve mangeait comme quatre, et, bien que castré, n'était fait que de muscles, pesant plus de huit kilos. Il était gourmand et voleur, le plus grand voleur de la planète sans nul doute. Capable de planter ses crocs dans un poulet encore congelé, qu'il emportait ensuite dans le haut du terrain, coursé par mon père. Il n'hésitait pas à tremper ses pattes dans du court bouillon frémissant pour se servir d'un morceau de lotte ou de lieu noir. Et combien de fois n'avons nous retrouvé que les os d'une côtelette terminant de griller dans la poêle.

Mais il était aussi tendre, tendre et attentionné. Il s'enroulait ronronnant, autour de mon cou, lorsqu'une de mes récurrentes angines me clouait au lit. Réchauffait les lits en se faufilant entre les draps, tétait longuement les bouts de couvertures à sa portée.

Il est mort un matin, écrasé par une voiture. Notre chagrin fut immense, longtemps nous avons sursauté croyant voir dans les ombres mouvantes, les pas de notre félin adoré.

lundi 1 mars 2010

1er détail du mois de mars

Je n'avais pas encore émigré tout au fond de l'appartement, et partageais ma chambre avec ma sœur plus jeune d'un an. Une vaste chambre où chacune avions notre territoire. Elle à droite, moi à gauche, toutes deux pourvues d'un balcon, d'un lit et d'un bureau en tous points identiques
Elle chien, moi chat !

Je devais avoir une dizaine d'années...

Le soir, alors que les lumières étaient déjà éteintes depuis de longues minutes, je guettais le souffle de J., attendant l'instant propice où je serais enfin réellement seule, la seule éveillée, reine en mon royaume. Les quelques sons provenant de la partie parentale laissaient entendre que le risque était ténu, j'étais libre et pouvais devenir le temps d'un songe, celle que tout au fond de moi j'étais, une délicieuse et diaphane princesse, une princesse désirable, désirable par sa longue et souple chevelure blonde.
Alors, mesurant chaque geste, je glissais ma main sous le matelas, cherchant l'étoffe fine et soyeuse que j'avais trouvée un jour dans le tiroir aux fouloirs de maman.
Qu'importait la couleur, l'essentiel était sa finesse et surtout surtout, a taille parfaite pour, une fois nouée autour de mon crâne, me donner l'illusion d'avoir une longue chevelure que d'un geste gracieux je ramenais sur ma poitrine plate. Assise sur mon lit, d'un mouvement de tête je rejetais mes cheveux en arrière, puis, à nouveau, d'une caresse les ramenais sur l'épaule.
Ces gestes moult fois répétés, rassasiée je défaisais le petit nœud effleurant ma nuque, et roulais en boule la fine soie avant de la cacher à nouveau sous le matelas.

Je redevenais la petite fille au carré bien sage, m'endormant apaisée.