J'attends dix huit heures pour décrocher le téléphone, toute la journée j'y ai pensé, la nuit précédente en a été tellement raccourcie, il va falloir être diplomate. Je vais d'abord aller faire pipi, je ferme la porte de mon bureau, je respire un grand coup, je souris pour que ma voix soit jolie, aller vas'y !
- Oui bonsoir, Madame Peguatis ?
le oui juvénile, bien que dit par une voix déjà âgée, allège aussitôt mon angoisse.
- Bonsoir Madame, Valérie de Haute Savoie de L'agence du lac. J'ai fait hier l'état des lieux de votre appartement.
Même oui plein de vie
- Je me demandais quand avaient été posés les papiers peints.
Oh longtemps très longtemps.
Et là toute mon angoisse s'envole
- Parce que je me disais qu'il serait souhaitable de faire un rafraîchissement.
Oh oui oui bien sûr, et les moquettes aussi.
La veille, lorsque j'étais entrée dans l'appartement, ma gorge s'était serrée. L'état des lieux d'entrée que j'avais dans les mains ne correspondait absolument pas à ce que je voyais. Il était noté neuf, très bon état, quelques traces... Et j'avais devant les yeux un appartement aux papiers déchirés, sales, vieux, moches. La menace de non seulement, bouffer tout le dépôt de garantie mais surtout de grever le budget du jeune couple sortant, plombait sérieusement ma fin de journée. Entrés il y avait à peine trois ans, ils allaient devoir refaire l'appartement et ce que je voyais ne correspondait tellement pas à ce que je ressentais.
L'entrée avait été faite par une autre agence, nous avions récupéré le bien au milieu de leur location, mais normalement je devrais m'en tenir aux mots écrits, neuf neuf ! Au fur et à mesure que je pénétrais dans les chambres mes épaules s'alourdissaient, les moquettes affreuses, sales, les murs à refaire entièrement, et ces jeunes gens toujours aussi souriants, loin d'imaginer ce que je pourrais exiger.
Avant de signer je leur avais sorti la grille de vétusté, leur avait expliqué longuement le risque, dit combien mes doutes étaient forts, mais que normalement je devrais m'en tenir à ce qui était écrit. Ils avaient eu la copie de l'état des lieux d'entrée ne l'avaient pas contestée, j'étais désolée.
Je n'en avais pas dormi de la nuit.
Tout à l'heure je pourrai les rassurer, leur dire qu'effectivement mes doutes étaient fondés, que je ne retiendrai rien sur leur dépôt de garantie. C'est peut être cela que l'on appelle l'expérience professionnelle, reconnaître aux couleurs des peintures et des papiers peints l'époque du fameux neuf.
Je me sens légère légère !