samedi 9 août 2008

Alain

Le petit parc contourné, il me restait encore à grimper tout en haut du Reberg pour rejoindre Marie et Pascale. J'aimais bien les samedis, je marchais, je rêvais, je rêvais toujours, j'étais amoureuse.
Regarder à gauche, à droite, encore un petit coup à gauche, traverser la rue en courant, je tourne le coin... il est là, face à moi, entouré de copains, pas tout à fait aussi grand que lui, ils me regardent en riant, si je pouvais je disparaîtrais. Mais il faut faire comme s'il n'était rien pour moi, comme si je ne pensais pas à lui nuit et jour, comme si je n'étais pas raide dingue de lui. Mes jambes en coton j'avance, mécanique, vers le groupe, je regarde le trottoir, à sa hauteur je lève la tête, je souffle un bonjour en dépassant le groupe, ils ricanent, ouf ils sont derrière moi.
"Mais qu'est ce que je suis conne !". Moche, grosse et conne !
Jamais un garçon ne tombera amoureux de moi, je suis tellement grosse, tellement moche.
J'ai envie de pleurer.
Je déteste maman. Pourquoi faut-il toujours qu'elle raconte ce que je lui dis. Une idiote, c'est tout ce que je suis, je ferais tellement mieux de me taire. Pourquoi est ce que je suis allée lui raconter que j'étais folle d'Alain ? Cette salope, il a fallu qu'elle appelle Catherine qui bien sûr l'a répété à sa belle soeur, la mère d'Alain. Et lui, il rigole, une mocheté comme moi ! C'est sûr que je serais la dernière qu'il choisirait.
J'ai envie de mourir.


J'ai rendez-vous chez le dentiste. Le cauchemar ! J'y vais depuis que je suis toute petite. Maintenant j'y vais seule, plus besoin que papa m'accompagne pour me tenir fermement sur le fauteuil. Je hais ce dentiste, il me fait horriblement mal, il est vieux, il est moche. Je m'assieds sans un mot, la salle d'attente est pleine, je prends un magasine au hasard, m'absorbe dans la lecture, surtout ne pas penser à tout à l'heure, au charcutage. De temps en temps l'assistante vient chercher quelqu'un, de temps en temps un nouveau rendez-vous entre. Je lève la tête, il me sourit en s'asseyant, un sourire doux presque tendre, un sourire d'excuse, désolé. Je suis pétrifiée, mon cœur s'emballe, je ne sais pas quoi faire, sourire ? parler ? je suis stupide, est-ce que je suis encore amoureuse de lui ? Il est tellement humain, peut être qu'il me trouve moins moche que ce que je suis ? L'assistante ouvre la porte, c'est à moi. Je me retourne, lui dis au revoir. C'est la dernière fois que je vois Alain.

Bien plus tard, un jour que je bavarde avec Catherine, je me hasarde à demander de ses nouvelles.
Il est mort, un des premiers homosexuel à mourir du sida à Mulhouse.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

j'ai des souvenirs qui ressemblent beaucoup à l'état que tu décris,parfois je me demande moi-aussi ce qu'ils sont devenus. Triste dénouement.

Anonyme a dit…

Très beau, un peu triste, mais c'est la beauté qui l'emporte, comme souvent ici, merci.

Anonyme a dit…

très bien écrit comme d'habitude.
pareil que pablo, un peu triste...

Anonyme a dit…

Je t'ai lu avec plaisir malgré cette fin terrible car après tout c'est de la vie qu'il s'agit là aussi. J'en ai eu des amis qui m'ont quitté trop tôt...

C'est fou ce que les rapports de séduction sont compliqués quand on est ado ! Faire semblant de ne pas s'intéresser pour finalement s'avouer qu'on est raide dingue...J'ai mis du temps a avouer a mon amour d'adolescence que j'etais raide dingue d'elle hélas ou pas bien trop tard elle avait déjà fait sa vie...

Tout comme toi je détestais le dentiste je n'y avait plus mis les pieds depuis près de 20 ans ce n'est qu'en arrivant sur Mulhouse que j'ai trouvé un dentiste qui a su m'apprivoiser ;o)

Valérie de Haute Savoie a dit…

Sûr alors, Jipes, que ce n'est pas mon dentiste chez qui tu es alors :)
Saperli, Pablo Darcy et Jipes, je vous remercie pour votre passage pendant cet été désertique :)

Anonyme a dit…

Oh, je passe et repasse, et je lis tout, mais parfois les mots se font la malle.
C'est en lisant le commentaire de Jipes que j'ai compris ce qui me touchait tant dans l'histoire que tu racontes. Bien sûr la dureté de la disparition, mais aussi la tristesse de passer à côté de quelqu'un. Quand on n'ose pas, quand on ne sait pas dire ou que l'on ne peut pas.