Mon grand père s'appelait Ernest. C'était un très bel homme, grand, se tenant toujours très droit, ne sortant jamais sans son chapeau qu'il soulevait légèrement lorsqu'il croisait une connaissance féminine. Sous des dehors un peu sévères, il gardait un côté enfantin et blagueur.
Il était né en 1902 et avait donc cinquante cinq ans à ma naissance. Il travaillait encore, mais c'était un artiste. Je crois qu'il faisait des publicités pour les Dernières Nouvelles d'Alsace, des illustrations pour décorer des boîtes de bonbons... en vrai je ne sais pas exactement de quoi il vivait, ma grand'mère ne travaillant plus depuis longtemps. Mais il peignait tout le temps, des paysages de cette Alsace qu'il adorait, rarement des portraits, ce que nous, ses petits enfants, nous déplorions.
Un jour d'été alors qu'ils étaient venus passer quelques jours au Birkenhof, je réussi enfin à persuader grand père de faire mon portrait. Enfin !
Je dois avoir huit ans, je ne tiens pas vraiment en place, mais pour ce portrait je suis prête à cuire au soleil, sans bouger, tout le temps qu'il faudra pour qu'il puisse le faire. Il prend cela très au sérieux, cherche le fauteuil le plus stable qu'il pose sur l'herbe du jardin. Je me coiffe, m'assied, il corrige un peu ma pose, lisse mon chemisier, replace une mèche derrière mon oreille... et ordonne "maintenant tu ne bouges plus !" - Je n'attends que ça, être son modèle.
Il prend les mesures, tend son bras, ferme un œil, évalue avec le crayon perpendiculaire à sa main, se concentre, trace le premier trait, je suis traversée par des frissons de bonheur, j'ai l'impression d'être caressée par le crayon qui crisse sur le papier. Il lève de temps en temps la tête, me regarde presque en transparence, gomme légèrement et balaye de sa main son carnet. Puis se penche et ouvre sa boîte remplie de tubes de gouache. Il choisi quelques couleurs, pose délicatement des noisettes colorées sur sa palette, le pinceau sonne dans le verre lorsqu'il le rince entre deux couleurs. Je ne bouge pas, je pourrais rester des heures. De temps en temps mes frères essayent d'apercevoir l'œuvre en devenir, mais grand père est formel ;
" Personne ne pourra le voir avant qu'il ne soit tout à fait terminé" dit-il avec un sourire espiègle.
Enfin il essuie ses pinceaux avec un chiffon parsemé de mille couleurs, referme sa boîte, regarde mon portrait d'un air satisfait et me permet de me lever. Je sors de ma torpeur amoureuse, je suis saoul de soleil et d'émotion. Émue et timide je m'avance, il est assis face à moi tenant son carnet. Je le contourne, regarde...
Un chimpanzé !
Pendant tout ce temps en réalité il n'a dessiné qu'un singe ! Pour me faire une blague !
Et cela fait rire tout le monde.
Tout de même ! Quel farceur cet Ernest !
Il était né en 1902 et avait donc cinquante cinq ans à ma naissance. Il travaillait encore, mais c'était un artiste. Je crois qu'il faisait des publicités pour les Dernières Nouvelles d'Alsace, des illustrations pour décorer des boîtes de bonbons... en vrai je ne sais pas exactement de quoi il vivait, ma grand'mère ne travaillant plus depuis longtemps. Mais il peignait tout le temps, des paysages de cette Alsace qu'il adorait, rarement des portraits, ce que nous, ses petits enfants, nous déplorions.
Un jour d'été alors qu'ils étaient venus passer quelques jours au Birkenhof, je réussi enfin à persuader grand père de faire mon portrait. Enfin !
Je dois avoir huit ans, je ne tiens pas vraiment en place, mais pour ce portrait je suis prête à cuire au soleil, sans bouger, tout le temps qu'il faudra pour qu'il puisse le faire. Il prend cela très au sérieux, cherche le fauteuil le plus stable qu'il pose sur l'herbe du jardin. Je me coiffe, m'assied, il corrige un peu ma pose, lisse mon chemisier, replace une mèche derrière mon oreille... et ordonne "maintenant tu ne bouges plus !" - Je n'attends que ça, être son modèle.
Il prend les mesures, tend son bras, ferme un œil, évalue avec le crayon perpendiculaire à sa main, se concentre, trace le premier trait, je suis traversée par des frissons de bonheur, j'ai l'impression d'être caressée par le crayon qui crisse sur le papier. Il lève de temps en temps la tête, me regarde presque en transparence, gomme légèrement et balaye de sa main son carnet. Puis se penche et ouvre sa boîte remplie de tubes de gouache. Il choisi quelques couleurs, pose délicatement des noisettes colorées sur sa palette, le pinceau sonne dans le verre lorsqu'il le rince entre deux couleurs. Je ne bouge pas, je pourrais rester des heures. De temps en temps mes frères essayent d'apercevoir l'œuvre en devenir, mais grand père est formel ;
" Personne ne pourra le voir avant qu'il ne soit tout à fait terminé" dit-il avec un sourire espiègle.
Enfin il essuie ses pinceaux avec un chiffon parsemé de mille couleurs, referme sa boîte, regarde mon portrait d'un air satisfait et me permet de me lever. Je sors de ma torpeur amoureuse, je suis saoul de soleil et d'émotion. Émue et timide je m'avance, il est assis face à moi tenant son carnet. Je le contourne, regarde...
Un chimpanzé !
Pendant tout ce temps en réalité il n'a dessiné qu'un singe ! Pour me faire une blague !
Et cela fait rire tout le monde.
Tout de même ! Quel farceur cet Ernest !